Nov
05

Sans SoleilQue ceux qui n’ont jamais vu Sans soleil (1982) de Chris Marker sachent qu’ils vont éprouver un immense bonheur. Bonheur répété car ils vont certainement, comme moi, le revoir plusieurs fois. Pour se délecter de ce feu d’artifice, ce passionnant kaléidoscope inspiré par les lettres de Sandor Krasna (je ne sais si je préfère la voix française de Florence Delay ou celle, anglaise, d’Alexandra Stewart) où se télescopent le Japon et l’Afrique, les girafes qu’on tue et les émeus d’Ile de France. Les digressions succèdent aux collages, les parenthèses aux coqs au chat (on comprendra pourquoi je cite cet animal plutôt que l’âne du dicton), aux réflexions sur le souvenir ou plutôt la fonction du souvenir. Marker oppose le souvenir personnel à la mémoire collective, celle qui forge la version officielle de l’Histoire. Il utilise des images de synthèse pour évoquer ce qui n’est pas, ne sera jamais montré par cette mémoire officielle, l’inmontrable : les déclassés dans les rues de Tokyo, les pilotes Kamikaze qui s’opposaient à l’Empereur. Chemin faisant, il recense ces « moments qui font battre le cœur » qu’avait recensé Sei Shonagon, fait un pèlerinage sur les lieux où fut tourné Vertigo, film sur le souvenir ou sa manipulation, sur le temps. Il parle bien mieux des jeux vidéos que Roland Barthe, évoque les luttes contre la colonisation, prend un certain recul tout en s’associant à ceux qui, « comme Che Guevara, tremblent d’indignation chaque fois qu’une injustice est commise ». Comment oublier ce couple banal qui va se recueillir dans un temple, sous la pluie, pour assurer le repos de l’âme d’un chat disparu ou cet homme qui se suicida par ce qu’on avait prononcé le mot printemps. À noter que la phrase en exergue de la version sortie en France, « l’éloignement de pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps » et qui est de Jean Racine, est remplacée aux USA par une citation magnifique de TS Eliot tirée de Ash Wednesday : « Because I know that time is always time/ And place is always and only place/ And what is actual is actual only for one time/ And only for one place ».
Les amateurs compareront la version Criterion et celle sortie en France. Toutes les deux comprennent un autre titre majeur de Marker, La jetée (1962). En attendant le Joli mai (1962), film essentiel, on peut acheter Le tombeau d’Alexandre (1992).
Et aussi Paris nous appartient (1961) le premier film de Jacques Rivette, que j’avais beaucoup défendu.

Le tombeau d'Alexandre Paris nous appartient
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Sep
24

Je ne saurai trop recommander l’achat du coffret Criterion consacré à Raymond Bernard qui comprend « Les Croix de Bois » et «Les Misérables ».
C’est indispensable. Ces films restent inédits en dvd en France et la vidéo de René Château trahissait complètement le premier titre que je viens de revoir et que j’ai eu l’impression de découvrir pour la première fois. La copie est magnifique et rend justice à l’extraordinaire photographie de Kruger (c’est à lui qu’on doit PEPE LE MOKO, non ?). Il y a des plans inouïs et le film a une force, une émotion incroyables. Tout le passage de la mine que l’on creuse sous la tranchée, l’affrontement dans le cimetière, les attaques nocturnes figurent parmi les plus grandes scènes de guerre de l’histoire du cinéma. Film génial. Gabriel Gabrio est impressionnant tout comme Vanel et Blanchar ne détonne que deux fois.

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Sep
12

Commençons ce nouveau blog par quelques repentirs. Sur des cinéastes que j’ai trop peu mentionnés (je n’avais pas acheté ou vu les dvds). Bergman, par exemple, dont il faut dire aussi que les films ressortaient souvent au Saint-André-des-Arts. J’avais été bouleversé par Saraband (2003), chef-d’œuvre qui conclut de manière éblouissante sa carrière. Ils ne sont pas légion les cinéastes dont les derniers films atteignent de telles hauteurs. Il y a le John Huston (Les gens de Dublin -1987), le Bresson (L’argent –1983), Ozu, Naruse ou Mizoguchi.

Saraband L'argent

La mort de Bergman suscita quelques réactions vicieuses ou désagréables. Un article particulièrement creux et médiocre de Jonathan Rosenbaum dans le New York Times auquel répondirent Roger Ebert et Woody Allen. Dans le Times, le critique en chef publia la liste des 10 Bergman à ne pas voir, sans citer ceux qu’il fallait voir. Des journalistes de télévision anglaise, détenteurs de la sagesse populiste, traitèrent les amateurs de Bergman de snobs adorant s’ennuyer au cinéma, de crétins réactionnaires, ennemis de tout divertissement. Donc répétons qu’il faut voir Saraband, que c’est une oeuvre passionnante, déchirante et que dans la foulée il faut se ruer, je ne cite que les films que j’ai revus, sur une délicieuse comédie : Sourires d’une nuit d’été (1955), sur Fanny et Alexandre (1982 – revu dans l’édition Criterion), Persona (1966). En attendant de revoir L’attente des femmes (1952), Cris et chuchotements (1953), Monika (1953) et Jeux d’été (1953), La nuit des forains (1953), La honte (1968), Le visage (1958) ou La flûte enchantée (1974). Pastichant Jules Renard, j’ai envie de dire que les personnes qui disent du mal de Persona m’ennuient avant qu’elles aient ouvert la bouche.

Sourires d'une nuit d'été Fanny et Alexandre Persona
L'attente des femmes Cris et chuchotements Monika
La nuit des forains La honte Le visage
La flüte enchantée

Antonioni a eu droit à un bel éloge funèbre de Martin Scorsese. Signalons donc que L’avventura (1960), que je tiens pour une de ses réussites majeures avec La nuit (1961), est sorti aux Editions Montparnasse. Je ne peux m’empêcher, à propos de L’avventura, de citer l’initiative farfelue de Raymond Borde, directeur de la Cinémathèque de Toulouse (qui doit être respectueuse du droit d’auteur et du patrimoine) qui avait remonté le film, l’amputant des plans qu’il jugeait trop longs et inutiles, soit près de 30 minutes, ce qui donnait selon lui un chef-d’œuvre. On peut trouver Chronique d’un amour (1950) avec la si belle musique de Giovanni Fusco dans un coffret édité par Carlotta, Blow up (1966) et depuis peu, grâce à Jack Nicholson, Profession reporter (1975). Par contre, j’attends Le cri (1957) disponible uniquement aux USA chez Kino.

L'avventura Chronique d'un amour Blow-up
Profession reporter Le cri

Chien enragéRepentirs, ce sont des films que j’ai tout simplement oubliés : ainsi Chien enragé (1949) de Kurosawa, policier noir, violent qui décrit avec puissance le Japon de l’après guerre et qui est une réussite totale. Toshirô Mifune joue un flic qui se fait voler son arme, acte qui le déshonore et qu’il va tenter de réparer. Bonne occasion de revenir sur l’autre film policier de Kurosawa, Entre le ciel et l’enfer (1963) d’après Ed McBain dont le début très claustrophobe (on a parlé de L’influence du Wise de La tour des ambitieux – 1954) est une sorte de tour de force tout comme l’époustouflante séquence du train et la conclusion dostoïevskienne.

Coffret Pierre PerraultMes repentirs peuvent aussi comprendre des films dont j’ai parlé trop succinctement. Par exemple le coffret Pierre Perrault (éditions Montparnasse) dont on se dit hélas qu’il trouvera peu d’acheteurs, que la presse n’en parlera guère (il y a eu un bel article dans La Croix). J’ai revu Les voitures d’eau (1968) avec un bonheur incroyable. Passer à coté de telles merveilles, de personnage aussi savoureux, aussi drôles, aussi sensés et magnifiquement aventureux qu’Alexis Tremblay (Le règne du jour – 1967), que ces marins de l’île aux Coudres, de leur « parlure » si riche, si poétique me parait pire qu’un crime, une sottise. Perrault y aborde nombre de sujets essentiels : Le poids du temps qui passe, l’usure qu’il fait peser sur les coutumes et les traditions, le changement des mœurs et des habitudes, le rapport au métier, à la vie qu’on a toujours menée et qui parait s’évanouir devant vous. Il parle des racines, de ce qui vous retient, de ce qui vous inspire.

Monsieur ArkadinJ’avais été trop court sur le coffret Criterion consacré à Monsieur Arkadin (1955) d’Orson Welles qui nous donne à voir deux versions du film : celle baptisée Corinth du nom de son distributeur, qui est légèrement différente des copies sorties en France et une version remontée qui intègre des scènes trouvées dans la version dite française, dans des internégatifs espagnols (certaines séquences avaient été refaites avec des comédiens différents) avec un remontage qui s’appuie sur des notes de Welles et fait éclater la structure du film. Cette version s’ouvre vraiment avec la séquence d’Akim Tamiroff et déplace des plans et des scènes. Un documentaire explique toutes les étapes de cette restauration et les raisons de certains choix. Un léger point de désaccord : les auteurs impliquent que Welles n’était pas satisfait de la version sortie en France par le co producteur Louis Dolivet avec qui il s’était brouillé. Or nous avions, Pierre Rissient et moi, rencontré Monsieur Silvera bras droit de Dolivet qui nous affirma que la brouille avec Welles est très postérieure à la sortie. Il n’en faut pour preuve que Dolivet finança son film suivant, Moby Dick rehearsed et c’est le fait qu’il quitta subitement ce tournage, après avoir filmé 52 minutes que Silvéra (et donc Dolivet et aussi Maurice Bessy) aimait beaucoup, qui provoqua la rupture. Le texte du commentaire prend là trop en compte des assertions de Welles.

Coffret BernardA propos de Criterion, signalons qu’ils viennent de sortir Avant la France, un coffret consacré à Raymond Bernard, auteur à redécouvrir, avec Les croix de bois (1932 – The wooden crosses), oeuvre oh combien puissante et émouvante et Les misérables (1934), la meilleure adaptation du roman de Hugo avec une distribution idéale. Milestone avait déjà sorti Le joueur d’échecs (1927 – The chess player). En France les Documents Cinématographiques ont sorti Les otages (1938) dont j’ai beaucoup parlé dans la chronique n° 11.

Je voudrais revenir sur deux westerns, La colline des potences (1959) de Delmer Daves qui fait partie de mon panthéon pour interpeller Warner France qui fait d’habitude du bon travail, pour leur demander pourquoi ils ont sorti le film dans un mauvais format. A cette époque Daves ne tournait pas en 1/33, sans doute en 1/85 ou 1/66. Chez Warner on est d’habitude très méticuleux et cette erreur étonne d’autant. Elle n’empêche pas que toutes les personnes à qui j’ai conseillé le dvd de me faire part de leur enthousiasme.

L’autre western, c’est l’étrange Little big horn (1951), écrit et réalisé par Charles Marquis Warren (chez VCI www.vcientertainment.com, sans sous-titres, et peu de bonus), qui fut l’agent de Scott Fitzgerald, lequel soutint ses premiers écrits. Cette oeuvre sombre s’ouvre de manière surprenante et originale sur un dialogue d’amour, en fait une scène d’adultère entre John Ireland qui est magnifique de retenue et Marie Windsor. Le ton du dialogue, l’amertume contenue qui émane des personnages, dégage une impression de mélancolie que l’on retrouvera tout au long de cette expédition funèbre, que l’on sait condamnée à l’échec. Personne n’a prévenu Custer du piège qui l’attendait et qu’il avait provoqué. La mort de Lloyd Bridges atteint par trois flèches en même temps, la lente déambulation du scout autour du point d’eau, constituent de beaux moments de cinéma. Le film se conclut sur un carton totalement énigmatique. On nous dit qu’on retrouva sept corps qui devaient être ceux des soldats servant sous les ordres du Capitaine Donlin et du lieutenant Haywood dont les vrais noms sont… Pourquoi cette subite révélation qui pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses ? Si ces personnages ont existé pourquoi avoir changé leur nom ? L’histoire d’amour ? Mais alors pourquoi les révéler à la fin ?

La colline des potences Little Big Horn

AnastasiaAvant de repartir en Louisiane, j’ai enfin revu Anastasia (1956) d’Anatole Litvak sur la recommandation de mon ami Jean-Pierre Coursodon qui m’écrivit ceci : « Dans 50 ans de cinéma américain nous disons que nous n’avons pas revu Anastasia (en fait pour ma part je ne l’avais jamais vu) et c’est à peu près tout. Je viens de le voir et c’est un film excellent. L’adaptation de la pièce par Arthur Laurents est très habile et ne fait pas du tout théâtre, et la mise en scène de Litvak est d’une élégance et efficacité qui font penser à Cukor – et pas seulement parce que l’argument a de curieux points communs avec My Fair Lady (le personnage de Brynner est un Pygmalion cynique à la Henry Higgins) – le thème, remarquablement traité, de l’incertitude sur l’identité est aussi cukorien après tout… Ingrid Bergman sait qu’elle n’est pas Anastasia mais en prétendant l’être finit par se demander si par hasard elle ne serait pas authentique, et finalement semble le croire. Oscar mérité pour une fois, et Brynner est excellent, ainsi qu’Helen Hayes (superbe scène avec Bergman vers la fin). Litvak utilise très bien l’espace de ses vastes intérieurs royaux au Danemark. C’est certainement le meilleur Litvak de la dernière période. » Je suis entièrement d’accord avec cette analyse.

Dans la même collection on peut trouver L’impasse tragique (1946), l’un des meilleurs films noirs de Henry Hathaway avec Appelez Nord 777 (1948), le splendide L’Aventure de Mme Muir (1947 –The ghost and Mrs. Muir) de Mankiewicz et Anna et le Roi de Siam (1946) de Cromwell que je n’ai jamais vu.

L'impasse tragique Appelez Nord 777 L'aventure de Mme Muir

Adieu ma jolieRevu aussi avec un vrai plaisir Adieu ma jolie (1944 – Murder my sweet aux Editions Montparnasse, très bien présenté par Serge Bromberg) dont la première partie m’a paru bien meilleure que dans mon souvenir. Le choix de Dick Powell, qui passe directement du crooner chez Busby Berkeley à Philip Marlowe, est formidable. Il donne à Marlowe une désinvolture flirtant continuellement avec la noirceur, l’amertume, le cynisme. On sent qu’il a dû, dans le passé, accepter n’importe quel boulot, qu’il s’est trouvé coincé dans des combines minables. Raymond Chandler le considérait comme le meilleur Marlowe. Les autres acteurs sont très bien choisis, notamment Mike Mazurki qui jouait déjà ce rôle dans la première version mais qui là est formidable. Magnifique photo. Les visions expressionnistes m’ont semblé moins lourdes, moins pénibles à la révision et deux ou trois plans sont même curieux et efficaces mais le film devient plus terne, plus banal, le scénario moins cinglant, la construction à présent totalement chronologique recèle moins de surprises. Cela reste visible mais en deçà de la première partie. Est-ce la faute du scénariste John Paxton, du producteur Adrian Scott qu’on ne peut dissocier du projet, du roman de Chandler ?

Dans un genre très différent je voudrais signaler le coffret Luc Moullet, l’un des auteurs les plus libres et les plus indépendants, qui recèle des pépites. Les amateurs de pataphysiques devraient se régaler et se ruer sur Genèse d’un repas (1978) et Anatomie d’un rapport (1975).

Luc Moullet

A l’occasion du beau film de Catherine Breillat, Une vieille maîtresse, rappelons d’autres oeuvres aussi personnelles et fortes comme 36 fillette (1988) qui reste un de mes préférés et Sex is comedy (2002) avec Anne Parillaud.

36 Fillette Sex is comedy

Ne le dis à personneNous avons décerné à l’Institut Lumière le prix Jacques Deray à Ne le dis à personne (2006) que nous aimions énormément. Le travail de Guillaume Canet me parait exemplaire. Le scénario évite tous les écueils que l’on trouve dans les adaptations, transpositions de romans américains. Je trouve même qu’il améliore le livre de Coben, notamment quant à la fin, plus romantique, moins esclave de l’intrigue. Cluzet est sensationnel tout comme Nathalie Baye et Kristin Scott Thomas et rappelons que l’on peut trouver La piscine (1968) et Le gang (1977) de notre ami Jacques.

La piscine Le gang

Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi même, signalons la sortie de dvds auxquels j’ai participés : le nouveau coffret Michael Powell qui comprend 3 chefs-d’œuvre dont le très méconnu A Canterbury tale (1944) passionnante méditation, truffée d’éclairs poétiques ou humoristiques, sur l’identité nationale, sur les racines (on n’est pas si loin de Pierre Perrault) à travers la recherche d’un mystérieux individu qui déverse de la glu sur les cheveux des jeunes anglaises qui, en 1943, sortent avec des américains. Plus je revois ce film plus il me touche tout comme Je sais où je vais (1945) merveilleuse comédie romantique sur fond d’Écosse, que Powell aimait tant.

Citons aussi quelques westerns essentiels qui viennent enfin de sortir (en France mais pas aux USA) comme L’homme qui n’a pas d’étoile (1955) de King Vidor, Le passage du canyon (1946), l’un des grands films de Jacques Tourneur et Willie Boy (1969) écrit et réalisé par Abraham Polonsky 20 ans après le magnifique Enfer de la corruption (1948 – Force of evil) sorti en Pocket chez Wild Side tout comme Côte 465 (1957) de Mann, Associations criminelles (1955) de Joseph H Lewis et Caught (1949) de Max Ophüls.

Le passage du canyon Willie Boy
Enfer de la corruption Côte 465
Caught

La grande horlogeCarlotta vient de distribuer deux titres majeurs : La grande horloge (1948), splendide adaptation par Jonathan Latimer (dont les dialogues sont une merveille) et John Farrow du Grand horloger de Kenneth Fearing que Boris Vian avait traduit. On retrouve le goût de Farrow pour les plans très longs, souvent sophistiqués (l’ouverture surprend à chaque vision) qui mettent en valeur le décor, libèrent certains comédiens. Milland toujours bon chez Farrow et Laughton est ici assez inoubliable tout comme une pléiade de seconds rôles.

Et Espions sur la tamise (1944) un Lang considéré à tort comme mineur et qui est une éblouissante démonstration stylistique analysée par Jean Douchet.

Espions sur la tamise
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