ZONE 1
Un certain nombre de coffrets très excitants sont sortis ces derniers mois, dont le coffret Charlie Chan collection, vol 1 qui regroupe 4 titres : Charlie Chan in Paris (1935), Charlie Chan in London (1934), Charlie Chan in Egypt (1935), Charlie Chan in Shanghai (1935) joués par Warner Oland, pour moi le meilleur Chan. Et pourtant sa nationalité suédoise ne le prédisposait pas à jouer le détective chinois inventé par Earl Derr Biggers (d’après un vrai détective chinois de Honolulu) qu’il allait marquer pourtant de manière indélébile. Il est admirable de bonhomie rouée, de politesse raffinée et malicieuse. Il faut le voir distiller les faux aphorismes et proverbes (totalement absents des livres) inventés par les scénaristes : « Souvent petite taupinière plus révélatrice que grande montagne », « Trou de serrure bon ami de grand détective », « Alibi comme poisson pas frais, pourrit toujours par la tête », « Théorie comme buée sur lunettes, obscurcit la vision ». Le premier titre du coffret est en fait le 5ème de la série dont le premier Charlie Chan Carries on a disparu. Charlie Chan in Paris introduit pour la première fois Lee « le fils numéro 1 » joué avec beaucoup de bonne humeur par Keye Luke qui dynamise la série. Dans Charlie Chan in Egypt de Louis King (metteur en scène à surveiller) on peut voir Rita Cansino, future Rita Hayworth et le désopilant Stepin Fetchit.
Le plus réussis, Charlie Chan at the Opera (1936) de Bruce Humberstone (dont on vient de sortir le très bon I Wake Up Screaming), est sorti dans le coffret volume 2. C’est le plus stylisé visuellement, Boris Karloff joue le principal suspect et on y entend un opéra écrit par Oscar Levant. A noter qu’aucun des livres de Biggers ne fut adapté.
Encore plus divertissant est le coffret Mr Moto, série également produite par la Fox avec pas mal de moyens à la suite du succès des Charlie Chan. Le héros, Kentaro Moto, est cette fois un soldat de fortune, mi aventurier, mi détective (il appartient à la « police internationale » (sic)), japonais et non plus chinois, inventé par John P. Marquand. Ce personnage timide, effacé qui se transforme sans cesse, se révèle d’une intelligence diabolique et, contrairement à Charlie Chan, se bagarre assez souvent : c’est un as du judo. Il y a d’ailleurs pas mal de scène d’action, une poursuite dans le brouillard (Mysterious Mr Moto – 1938), des règlements de compte. On choisit pour incarner cet asiatique, un juif autrichien, cela s’imposait, à savoir Peter Lorre qui est formidable, avec ses grosses lunettes (on le fait parfois parler allemand). On lui oppose une galerie de « méchants » hauts en couleurs, joués par John Carradine, Lionell Atwill, Sig Ruman, George Sanders, Sidney Blackmer. Autre particularité, cette série est essentiellement l’œuvre d’une seule personne, Norman Foster qui écrivit et réalisa 6 des 8 titres et participa au scénario de l’un des deux restant. Foster avait été un acteur qui joue un rôle important dans le beau Pilgrimage (1933) de John Ford et dans State Fair (1933) de Henry King. Il était marié à Claudette Colbert et arrêta de jouer après qu’une agression lui ait abîmé le visage. Les films sont mieux mis en scène que les Charlie Chan. Foster aime remplir le cadre d’objets, de figurants, de plantes ; il joue beaucoup sur les avants plans et deux des films, Thank You, Mr Moto (1937) et Mysterious Mr Moto (1938) sont extrêmement réussis, inventifs, divertissants. Le deuxième se passe à Londres, après une rocambolesque évasion de l’île du diable, et nous montre toute une série de britanniques affichant un comportement très raciste face à notre héros. Lequel égrène des proverbes et se présente ainsi : nettoyage : immense, cuisine : prétentieux, cocktails : sublimes. Think Fast, Mr Moto (1937) est amusant mais moins cohérent. La qualité des décors et de la photo, bien mis en valeur dans ces Dvds, élève ces œuvres au-dessus de la série B. Orson Welles avait dû voir cette série et apprécier leur atmosphère cosmopolite, colorée avant de confier Voyage au Pays de la Peur (1943 – où contrairement à la rumeur, il ne semble pas avoir participé à la mise en scène. Dans un bonus, un historien rapporte une déclaration de Welles attribuant à Foster les mérites du film) puis My Friend Benito à Norman Foster (selon Dave Kehr, c’était parce qu’il parlait espagnol).
Enfin le coffret Film Noir Classic Collection volume 3 comprend un certain nombre d’œuvres essentielles : On Dangerous Ground (1952) l’un des plus beau Nicholas Ray (disponible en zone 2 – La Maison dans l’Ombre), Border Incident(1949)très bon Anthony Mann, photographié par John Alton, polar noir et violent sur l’exploitation des travailleurs mexicains sans papiers. His Kind of Woman (1951) de John Farrow commence comme un film noir archétypal, au dialogue percutant, se transforme en comédie aux échanges sophistiqués ou très marrants : à Mitchum qui déclare , « je suis trop jeune pour mourir », Vincent Price répond « moi trop célèbre ». Jane Russel demande à Mitchum qui repasse son argent « quand il s’ennuie » : « Et quand tu es fauché, qu’est ce que tu repasses ? » – « Mon pantalon ». Durant une partie de poker, pour confondre un tricheur, il augmente la mise en posant sa chaussure sur la table, répondant ainsi au portefeuille qu’on vient de jeter. Il sort une liasse de la chaussure et la scène s’achève en farce. Vincent Price incarne de manière grandiose un cabot qui tente d’incarner les personnages qu’il joue et cite constamment Hamlet. Mais la comédie est trouée d’éclairs de violence, de sadisme, filmés par Richard Fleischer qui termina le dernier quart du film, après le meurtre de Tim Holt (tout ce qui se passe sur et autour du yacht). Il faut dire que les caprices, les indécisions d’Howard Hughes avaient décuplé la durée du tournage. Vincent Price qui avait un contrat de 8 semaines célébra sa 52e semaine par une fête somptueuse. Les autres films sont The Racket (1951) de John Cromwell et le célèbre Lady in the Lake (1947) de Robert Montgomery où la caméra est Philip Marlowe et que j’aimerais revoir.
J’ai beaucoup aimé Citizen Ruth (1996) l’un des premiers films d’Alexander Payne, comédie grinçante et caustique sur l’avortement, i évoque les meilleures réussites de Dino Risi, Comencini, Monicelli (dont le Nous Voulons les Colonels de 1973avec Ugo Tognazzi est un régal).
Dans le Payne, Laura Dern joue une SDF enceinte qui va être récupérée par les chrétiens conservateurs et fanatiques dirigés par Burt Reynolds puis par les partisans de l’avortement qui vont tenter de l’instrumentaliser.
J’ai revu Network (1976) de Sidney Lumet qui vient de sortie en Dvd collector et j’ai trouvé qu’on avait été très sévère et assez superficiel dans 50 Ans de Cinéma Américain vis à vis de ce film qui, non seulement tient le coup, mais prend une valeur incroyablement prémonitoire. Il suffit de penser aux dérives de la télévision ces dernières années, à la mainmise des sectes chrétiennes, des partis plus conservateurs sur l’information. Network anticipe aussi sur la télé réalité, nous parle du terrorisme filmé en direct, de la présence de l’Arabie Saoudite dans l’économie américaine, des intérêts arabes. On y mentionne déjà, 20 ans avant, que l’Arabie Saoudite possède une grande partie du port de la Nouvelle Orléans.
Le film va bien au-delà d’une dénonciation de la télévision. Sidney Lumet et Paddy Chayefsky (qui écrivit le magnifique scénario de The Americanization of Emily et de Hospital) récusent le mot satire et préfèrent celui de reportage. Ils nous disent que le petit écran est devenue le centre du monde, que la représentation prime sur la réalité et que nous nous sommes transformés en fantômes. Tout ce que nous faisons, pensons est dicté, imposé, régi par la télévision. La politique, du moins, la politique des slogans, la seule que l’on prend en compte, se fabrique à la télévision. Qui est devenue le porte voix des maîtres du monde, les multi nationales, les actionnaires, les grandes firmes. Dans les très bons bonus Lumet déclare que Network « film très sérieux tourné comme une comédie » parlait moins de la télévision que de la mondialisation dans l’esprit des auteurs.
Cette domination n’est pas exempte de contradictions : le président de CCA, Jensen (admirable Ned Beatty, étourdissant dans la scène shakespearienne de prêche où il retourne Peter Finch), conserve l’émission de Howard Beale même si elle perd de l’argent parce qu’il s’est pris de sympathie pour lui et veut qu’il se fasse le porte parole de sa philosophie : à savoir que la démocratie est morte.
L’essence profonde de la télévision, qui refuse jusqu’à cette contradiction, est symbolisée par le personnage de Faye Dunaway et c’est ce que l’on pourrait reprocher au film. A tort je trouve, car cela lui donne un coté épique au sens brechtien du terme, qui transcende le réalisme. Lumet raconte qu’à sa première entrevue avec l’actrice, il lui dit : « ne cherche pas de motivations, d’excuses, de repères. Tu es comme cela et on ne doit jamais l’expliquer ni le justifier. Il n’y a pas de pourquoi ». Et ce parti pris peu commun donne toute sa force à l’interprétation de Dunaway qui parvient pourtant dans la scène de rupture avec Holden à faire apparaître comme une fêlure. Elle ne peut ni comprendre, ni admettre les propos très durs, très lucides de Holden. Elle a l’impression d’avoir affaire à un martien, et le vertige qui s’empare d’elle nous vaut un gros plan inoubliable.
Ce qui nous faisait tiquer – les changements de tons, la manière dont on traite le parti communiste ou l’extrême gauche – devient avec le temps réjouissant d’incorrection politique.
Ajoutons que la distribution est absolument géniale. Non seulement les 4 principaux acteurs (Holden, admirable, et Duvall semblent être des idées de Lumet, Peter Finch fut dès le départ le choix de Paddy Chayefsky) mais aussi les rôles secondaires : Ned Beatty, Wesley Addy et Béatrice Straight (qui gagna l’Oscar). Sa scène avec Holden ancre brusquement le personnage dans la réalité la plus prosaïque. Sa simplicité tragique donne par contrecoup plus de force et de vérité à la folie des autres personnages.
En revanche, Marty (1955) toujours écrit par Paddy Chayefsky et dirigé par Delbert Mann est pratiquement dépourvu d’intérêt malgré Betsy Blair et Ernest Borgnine. L’apport de Mann semble quasiment nul et le film manque de rythme et d’allant.
Autre chef d’œuvre, celui-là très méconnu, 14 Hours (1951) d’Henry Hathaway. Les 10 premiers plans de ce film sont éblouissants. C’est le triomphe d’une mise en scène qui mêle étroitement dureté, clarté, acuité. Le propos du film est exposé très rapidement avec une netteté foudroyante : un homme sur le rebord d’une fenêtre veut se suicider. Hawks aurait voulu traiter ce sujet en comédie. Hathaway et le scénariste John Paxton choisissent un angle plus noir, plus trouble, allant jusqu’au bout du sujet. La seule concession consiste dans les deux fins imposés par Spyros Skouras qui venait de perdre sa fille. Hélas le Dvd n’en présente qu’une. Le seul point faible est l’intrigue amoureuse entre Debra Paget et Jeffrey Hunter qu’il solde rapidement. Le ton sec, dégraissé de toute sentimentalité comme de tout cynisme facile étonne par son économie, le mélange subtil de dureté et de compassion, la justesse de la direction d’acteurs. C’est le triomphe de Paul Douglas, impressionnant de justesse et très bien entouré par Richard Basehart, Martin Gabel, Robert Keith, Jeff Corey. L’apparition de Grace Kelly est magnifique.
Je ne cesserai de m’étonner du peu de cas que l’on fait en France de Ken Burns, l’un des plus grands auteurs de documentaires américains dont je viens de voir le dernier chef d’œuvre The War qui va bientôt être diffusé par PBS. Ce film de 14 heures sur la seconde guerre mondiale s’ancre autour de 4 villes : Burns y a trouvé, des rescapés, des survivants, des hommes et des femmes qui ont perdu des membres de leurs familles. On passe sans cesse du particulier au général, du front à l’arrière où naissent des conflits économiques, raciaux (les noirs ont le droit de devenir ouvriers, ce qui provoque des émeutes) qualifiés et sociaux. Il suit des japonais américains emprisonnés dans un camp qui pourtant s’engagent, créent un régiment et se couvrent de gloire. Ils ont participé à la libération des Vosges.
On doit à Ken Burns ce splendide documentaire sur la guerre de Sécession, The Civil War (1990), un portait formidable de Huey Long qui inspira All the King’s Men (1949 – Les Fous du Roi) qui vient de sortir en Dvd dans une édition et un transfert décevant. Rossen a gommé toute la faconde populiste, la drôlerie exubérante de Long. Mais il insuffle à Broderick Crawford, dont l’interprétation reste époustouflante, une bonne partie de la véhémence, de l’énergie de bonimenteur de foire, de la force prolétarienne qui était l’apanage du dictateur de la Louisiane.
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Parmi les réussites de Ken Burns, citons Jazz (2001), cet hymne magnifique à la musique afro américaine qui permet à Burns de donner des aperçus cinglants de la situation raciale entre 1920 et 1970. Burns, à travers un évènement historique, l’histoire d’un sport (le Base Ball), d’un art, d’un moyen de communication (la radio) refait l’histoire de son pays, détruit des mythes, des légendes, des mensonges, nous donne à voir des pans entiers qui ont été occulté. C’est ce qui fait le prix de son Mark Twain (2001), et qui donne envie de relire immédiatement Huckleberry Finn ou Life on the Mississipi « Dieu créa l’homme parce qu’il avait été relativement déçu par le singe ».
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