Avr
08

LIVRES

MAURICE TOURNEUR de Christiane Leteux est un ouvrage passionnant où j’ai appris beaucoup de choses : le stupéfiant scandale causé par L’ÉQUIPAGE, le traitement de Richard Pottier au début de la guerre, l’importance de Carlo Rim qui a écrit AVEC LE SOURIRE, ce chef d’œuvre. Le livre donne envie de revoir les grands Tourneur muets mais défend aussi ses derniers titres.

mauricetourneur  impossible réparation

L’IMPOSSIBLE RÉPARATION de Jean Marc Dreyfus sur le paiement des dommages de guerre. On découvre qu’il y avait plus de personnes avec la carte du parti nazi au Ministère des Affaires Etrangères allemand en 1951 qu’en 1940.

LE MÉTÉOROLOGUE d’Olivier Rolin, livre cinglant, émouvant, incroyable.

meteorologue  fouché

La dernière biographie de Joseph Fouché par Emmanuel de Waresquiel est un modèle du genre.  Ce gros livre de 668 pages trace un portrait contrasté et subtil du personnage, fait la part belle à l’analyse psychologique et se fonde sur des sources nouvelles, provenant notamment d’archives privées. Il est sous titré : Les silences de la pieuvre. Fouché se révèle tour à tour monstre froid et calculateur, organisateur et administrateur hors pair, père attentif et sentimental…

De retour de Serbie, j’en profite pour redire tout le bien que je pense de certains films d’Emir Kusturica, CHAT NOIR, CHAT BLANC et j’ai revu la première heure d’UNDERGROUND qui est stupéfiante d’invention et de puissance. Dans cette manière de mêler les animaux à la guerre, à la violence, d’en faire les témoins, les victimes.

COFFRETS

Je voudrais d’abord signaler et recommander deux coffrets exceptionnels édités par Potemkine sur Kalatozov et Gleb Pamfilov. Du premier outre QUAND PASSENT LES CIGOGNES et SOY CUBA, il faut voir LA LETTRE INACHEVÉE, beaucoup moins connu. On y trouve de stupéfiants plans de Nature. La course des protagonistes dans une forêt en flammes est une très longue séquence qui n’a pas d’équivalents. Les personnages courent, marchent, luttent au milieu des flammes et de la fumée. Le scénario est un peu sommaire et il y a quelques plans pompiers vers la fin mais aussi des moments étranges quand les personnages errent dans les flammes avec une radio détraquée qui répète des télégrammes de félicitation.

kalatozov  panfilov

Et chez Panfilov, cinéaste magistral, l’impressionnant JE DEMANDE LA PAROLE et LE THÈME, œuvre d’une originalité sidérante : dans la conduite du récit, dans les bifurcations que prend le scénario qui ménage de nombreuses surprises, dans un mélange incroyable de drôlerie, de cocasserie, de tension et de force émotionnelle qui surgit comme à l’improviste dans le dernier quart du film.

BARRY LEVINSON

levinson_hommesinfluenceLLe hasard et le travail d’approfondissement de 50 ANS DE CINEMA AMÉRICAIN m’ont conduit à revoir et parfois à voir plusieurs film de Barry Levinson, et l’on s’aperçoit qu’ils ont en commun une ironie sceptique et chaleureuse, une volonté de traiter en comédie des sujets politiques assez décapants avec une vision beaucoup plus démocrate que républicaine, beaucoup plus libertaire que consensuelle. Parfois aussi un manque d’exigence ou une propension à tirer vers la farce  des péripéties qui auraient gagnées à s’arrêter avant. Le dernier tiers de  WAG THE DOG/DES HOMMES D’INFLUENCE devient insistant et lourd alors que tout ce qui précède fait preuve d’une irrévérence et d’une invention cocasse quelque peu sous-estimée. Le service de communication réussit à inventer une guerre pour camoufler les frasques sexuelles du président (le film est antérieur à l’affaire Monica Lewinsky) avec l’aide d’un producteur interprété génialement par Dustin Hoffman. On sent d’ailleurs Levinson à l’aise avec les acteurs et Robin Williams, Laura Linney sont épatants dans le tout aussi caustique MAN OF THE YEAR, une sorte d’HOMME DANS LA FOULE inversé qui contient des moments très pertinents sur la création et la manipulation des images. Levinson a un flair pour les dialogues (il écrivit d’ailleurs un certains nombre de ses films) et sait leur donner de la vie. On retrouve ces mêmes qualités dans BANDITS qui contient des échanges désopilants entre Bruce Willis et  Billy Bob Thornton en détenu hypocondriaque, sans oublier Cate Blanchett, formidable en épouse frustrée qui est ravie de se faire kidnapper et de rejoindre les malfaiteurs. Il en résulte une série de variation sur JULES ET JIM. Levinson parfois découpe trop et manque de confiance dans son matériau ce qui uniformise plusieurs séquences. DINER, plus autobiographique, est une vrai réussite, drôle, tendre, amère, révélant plusieurs jeunes comédiens époustouflants dont Mickey Rourke. C’est la veine très personnelle de Levinson qui comprend LIBERTY HEIGHTS et son film favori, difficilement trouvable, AVALON.  J’aimerais revoir BUGSY, écrit par James Toback qui m’avait bien plu.

levinson_diner  levinson_bandits  liberty heights

Parlant de Toback, il est préférable de revoir le magnifique THE GAMBLER si bien dirigé par Karel Reisz plutôt que le remake, démonstration par l’absurde de tout ce qu’il ne faut pas faire. Et James Caan pulvérise son successeur Mark Wahlberg.

thegambler

DE LINKLATER À ANDERSON

J’ai adoré BOYHOOD, ce qui est une bonne manière de rappeler d’autres films du très talentueux Richard Linklater, qui jouent aussi à fictionnaliser la durée : la trilogie des BEFORE avec BEFORE SUNRISE, BEFORE SUNSET (celui là très Rohmerien), BEFORE MIDNIGHT.

boyhood

PRINCE OF TEXAS   – étrange traduction française de PRINCE AVALANCHE (il s’agit du second titre de cette œuvre inspirée par un film islandais minimaliste!) – de David Gordon Green, chronique rurale, intimiste, dans le ton de ses premiers essais, tournée en 16 jours sur deux hommes qui repeignent le marquage au sol des routes de la campagne texane, routes quasi désertes. On n’y croise pratiquement qu’un seul camion dont le conducteur, personnage haut en couleurs, brusque et attachant, ravitaille en alcool les deux protagonistes. Il faut dire que tout autour, la végétation, les forêts ont été dévastées par des incendies (premier plan du film) : une scène magnifique nous montre le héros errant dans les ruines d’une maison calcinée où il découvre une femme qui cherche un papier. Moment furtif, peut-être rêvé et bouleversant où l’on voit la vieille femme reconstituer le plan de sa maison, puis, Alvin, le héros, faire mine d’entrer dans la maison et d’y découvrir des occupants. PRINCE AVALANCHE repose essentiellement sur les rapports d’Alvin et du frère de sa fiancée, sur leurs dialogues souvent marrants, flirtant avec l’absurde, entrecoupés par des plans de nature et d’animaux. David Gordon Green n’évite pas toujours le maniérisme ni la répétition et le film piétine quelque peu malgré une interprétation hors pair de Paul Rudd et Emile Hirsch et une belle photo de Tim Orr.

princeoftexas  joe

JOE, tourné la même année, est plus réussi dans ses deux premiers tiers, avec des éclats de violence surprenants qui semblent appartenir au tissu social, à l’air qu’on respire. L’agressivité surgit brusquement dans un bar et l’un des protagonistes répète « qu’il ne craint rien car il est passé à travers un pare-brise ». Réplique géniale. Un meurtre horrible est commis pour une bouteille. Interprétation assez étonnante de Gary Poulter, un SDF découvert par le réalisateur et qui mourut avant la sortie du film. Le dernier tiers malheureusement devient trop explicatif et redondant. Green est il condamné aux films prometteurs ?

grandbudapestCe qui frappe d’emblée dans GRAND BUDAPEST HOTEL, c’est la luxuriance visuelle  des décors (palace luxueux et rococo, station balnéaire, bâtiments Art Nouveau), aussi imaginatifs et somptueux dans leur splendeur cocasse que dans leur décrépitude, et du découpage, du choix des cadres. Wes Anderson ne répète jamais un plan, un angle et cela, même dans des moments de transition habituellement soldés, quand les protagonistes empruntent, par exemple, un de ces moyens de locomotion dont le cinéaste est friand : ici des trains, un téléphérique, voire des ascenseurs. Chacune de ces scènes donne lieu à une débauche d’imagination, ponctuée par des effets spéciaux spectaculaires dont l’artificialité est fièrement revendiquée par la mise en scène. Le soin accordé à chaque cadre, tous hyper graphiques et stylisés, la précision du découpage, l’abondance des références picturales, le choix de trois formats de projection différents : en 1.37 pour les années 30, en format anamorphique pour les séquences des années 60 et en 1.85 pour la période plus récente peuvent laisser craindre une œuvre que pétrifie le formalisme. Il n’en est rien, bien au contraire. L’énergie de la narration semble survitaminer le propos, grandeur et décadence d’un palace. Et l’esthétisme n’étouffe jamais la sensualité, la présence physique des lieux et des acteurs un peu comme chez Michael Powell.

CLASSIQUES AMÉRICAINS

thunderhoofTHUNDERHOOF est un des westerns les plus ambitieux de la première partie de la carrière de Phil Karlson  et j’aimerais bien voir ADVENTURES IN SILVERADO dont le héros est Robert Louis Stevenson : 3 personnages, deux hommes, une femme et quelques chevaux, un tournage entièrement en extérieurs, en dehors d’un ou deux décors peu importants. Karlson utilise remarquablement ces paysages arides, rocailleux, escarpés, qui traduisent la violence intérieure des protagonistes : un travelling latéral surplombe de plus en plus Preston Foster et William Bishop, des contreplongées très larges isolent les personnages qui se découpent  au sommet d’une crête, durant une bagarre, on passe brutalement d’un cadre serré à un plan d’ensemble. On a droit à un pugilat teigneux, signature de Karlson, assez vite interrompu, et à deux cascades spectaculaires lors de la capture de l’étalon, dont une chute de cheval devant ce dernier. Le scénario, très dépouillé, tourne autour de la capture d’un étalon sauvage (c’est la version minimaliste de THE MISFITS), symbole de succès et de richesse, qui va opposer les deux hommes. Les personnages sont plus complexes que d’habitude et tous ont leur zone d’ombre, leurs accès d’égoïsme et de violence (les deux hommes sont tour à tour sympathiques et antipathiques) et le dialogue insiste sur les frustrations, les jalousies, la tentation sexuelle, avec même un petit interlude musical où Bishop fredonne entre autres « The girl he left behind », chère à Ford. Foster est meilleur que Bishop mais Mary Stuart campe une héroïne plutôt originale. Malheureusement la conclusion, soldée, n’est pas à la hauteur de ce qui précède. A noter que THUNDERHOOF sortit en copie sépia.

EDWARD L. CAHN
De cet empereur de la série Z pré-Roger Corman, IT! THE TERROR FROM BEYOND SPACE peut en effet être considéré comme une des sources d’inspiration d’ALIEN et Dan O’Bannon, l’un des co-auteurs, le confirme. Le scénariste Jerome Bixby voulut faire un procès mais les producteurs d’ALIEN s’abritèrent derrière une nouvelle de Van Vogt avec qui ils s’arrangèrent. Il y a beaucoup de détails similaires : l’importance des coursives, des conduits de chauffage. Malheureusement, le monstre qu’on voit très tôt, est totalement ridicule. Juste un acteur (Ray Corrigan) avec une combinaison en caoutchouc. Comme de bien entendu, il est indestructible (on l’attaque même au bazooka ! un bazooka dans un vol spatial !!). De plus le scenario s’emmêle avec les différents étages du vaisseau spatial que des personnages descendent au lieu de monter et vice versa. Selon Dave Kehr, en dehors de IT, les films fantastiques ou de SF de Cahn sont plutôt décevants et plats.

Itterrorfrombeyondspace

NOOSE FOR A GUNMAN est un western au scénario ultra classique, mais assez adroitement filmé (les premiers plans sont pas mal du tout) et bien joué par Jim Davis pour une fois en vedette, Barton MacLane, Harry Carey Jr, Walter Sande dans un personnage original de shérif intelligent, sensible. La palme revient à Ted de Corsia qui campe un Jake Cantrell assez impressionnant mais dont la mort n’est pas du tout historique. FIVE GUNS TO TOMBSTONE et surtout OKLAHOMA TERRITORY sont  assez médiocres, le second, une pénible intrigue policière avec Ted de Corsia en chef indien accusé à tort est platement photographié. Le meilleur film de Cahn que j’ai pu voir est certainement DESTINATION MURDER, polar tendu, astucieux où certains personnages prennent tout à coup une grande importance.

nooseforagunman  fiveguns  oklahomaterritory

On devine que LA PISTE FATALE (INFERNO) doit être plaisant à voir en 3D. Roy Baker et Lucien Ballard utilisent bien l’espace, le paysage rocailleux. Évidemment dans la bagarre finale, on vous envoie des lampes, des chaises, des ustensiles dans la gueule mais ces effets doivent être moins efficaces que certaines descentes d’un piton. Ryan est pratiquement condamné à la voix off et Rhonda Fleming est très belle avec des vêtements spectaculaires.

lapistefatale

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Mar
02

Films Pré-Code

Coffret « The Early Capra »
earlycapraNous avions passé sous silence FORBIDDEN, pourtant le meilleur des quatre films que Capra tourna avec Barbara Stanwyck à cette époque. Le dialogue rapide, inventif de Jo Swerling d’après une histoire de Capra, la mise en scène aiguisée, rapide, elliptique, éliminent  ou font oublier tout ce que ce mélodrame qui explore des sentiers très fréquentés, de BACK STREET à NOW VOYAGER, pourrait avoir de convenu et surtout de sirupeux : héroïne ultra malchanceuse, coups du sort, intrigues inextricables à base d’adultère, d’enfant illégitime, de corruption politique. D’ailleurs en 1935, les tenants du Code interdirent la ressortie du film, jugé immoral et indécent. Capra épure ces ingrédients, les transcende, leur donnant une vitalité, une rigueur dramatique qui touche au sublime. On trouve dans ce coffret d’autres films passionnants  comme RAIN OR SHINE qui m’avait fait pleurer de rire et qui est montré ici, partiellement, en deux versions. Et bien sûr tous ceux qui sont joués par Stanwyck, de MIRACLE WOMAN, rencontre de Capra et Riskin et l’un des rares films à s’en prendre aux prédicateurs style Elmer Gantry, en l’occurrence une prédicatrice (la fin hélas pactise avec la censure), THE BITTER TEA OF GENERAL YEN, fort bon mélodrame avec histoire d’amour interraciale

Coffret « Les musicals de Lubitsch » chez Criterion (pas de sous-titres francais)
lubitschmusicalsCe corpus de films se révèle absolument enthousiasmant. Tous portent de manière flamboyante la marque de leur auteur. Même le plus faible, MONTE CARLO – desservi par Jack Buchanan, comédien et chanteur adroit, à l’aise dans les gags visuels (qui triomphera des décennies plus tard dans THE BANDWAGON) mais totalement dépourvu du charme et du charisme de Maurice Chevalier et surtout dépourvu de sa manière de jouer avec les sous-entendus équivoques, les double sens, les expressions françaises – nous offre plusieurs moments charmants et des scènes fort bien dirigées. Dès THE LOVE PARADE, on voit que Lubitsch contrôle admirablement tous les problèmes du cinéma sonore qui vient tout juste de naître : il utilise les apartés, les chevauchements de dialogue, passe dans le même plan du parlé au chanté. Il flirte constamment avec les interdits, accumule les allusions sexuelles et impose une seule forme de suspense : quand le héros et l’héroïne vont-ils coucher ensemble (ou recoucher dans le cas de ONE HOUR WITH YOU où Chevallier et McDonald sont mariés, ce que l’on découvre dans l’une des premières séquences, celle du parc, hilarante, qui suit les conseils en vers scandés par le chef de la police à ses hommes) ? Le sexe est le seul moteur dramatique de ces films et il est abordé avec une décontraction exempte de tout esprit de culpabilité. Jeanette MacDonald qui chante fort bien, est de plus, adorablement sexy. On la voit constamment en nuisette, en combinaison ou dans des déshabillés vaporeux. C’est à ma connaissance le seul film où on la voit  fumer, durant la merveilleuse scène où elle dévore (déguste) un rapport de police énumérant les conduites scandaleuses du Comte. Lupino Lane et Lillian Roth (cette dernière très vive, très sexy) forment un couple de domestiques désopilants qui décalquent avec génie la conduite de leurs maîtres. Dans THE SMILING LIEUTENANT, Lubitsch brodera des variations encore plus raffinées et audacieuses : c’est la maitresse du héros, une violoniste (épatante Claudette Colbert) qu’il a ravie à son meilleur ami (« Plutôt que de prendre le thé, nous devrions dîner et ensuite petit déjeuner » – « Non d’abord le thé. On verra plus tard pour le dîner et le petit déjeuner ») qui va apprendre à la femme de ce dernier, la princesse de Flausenthurm (adorable Miriam Hopkins), ce qu’il faut faire pour séduire son mari : changer d’allure, de vêtements, ce qui nous vaut une chanson étonnante, aux lyrics très audacieux « jazz up your lingerie » d’Oscar Strauss et Clifford Grey, chantée par Colbert et Hopkins puis jouée au piano par cette dernière. Colbert proclame qu’il faut arborer des sous-vêtements sexy et ce genre de notations disparaîtra du cinéma américain dès 1934. La transformation de Miriam Hopkins est un pur délice et le jeu de séduction entre elle et Chevalier reste un moment inoubliable.

Autres films américains

L’ORCHIDÉE BLANCHE (SIDONIS)
Cette histoire d’une concertiste atteinte de tuberculose et tombant amoureuse d’un docteur et  d’un pilote automobile présente de vraies ressemblances avec BOBBY DEERFIELD, ce qui est logique car le film s’inspire d’une nouvelle d’Erich Maria Remarque que ce dernier transforma en roman, source du Pollack. Ce qui frappe ici est le traitement feutré, retenu qu’impose de Toth qui tranche sur les canons du genre : les personnages ne se cachent rien et sont tous traités avec empathie, même Richard Conte qui apparaît d’abord comme le prototype du séducteur et qui se révèle attachant. Les acteurs parlent doucement comme chez Tourneur, les coups de théâtre sont ellipsés ou traités avec sobriété. Il faut dire que les trois acteurs principaux, David Niven, Conte et Stanwyck, effacent tout ce que l’histoire pourrait avoir de sirupeux. On est plus près de John Stahl que de Sirk. Les quelques éclats (Gilbert Roland qui essaie de violer Barbara Stanwyck) tenant davantage du film noir tout comme certains cadrages et la belle photo de Victor Milner. L’émotion surgit discrètement, par surprise.  Bonne musique de Miklos Roscza.

orchideeblanche  limpitoyable

RUTHLESS/L’IMPITOYABLE (Sidonis)
Un des meilleurs Ulmer, un de ceux, avec THE STRANGE WOMAN, CARNEGIE HALL et LE PIRATE DE CAPRI, où il bénéficia d’un budget sinon considérable du moins très suffisant : décors imposants, très belle photo de Bert Glennon, distribution assez riche avec de nombreuses semi-vedettes dont le contrat avec un studio venait d’expirer : Louis Hayward, Zachary Scott, Diana Lynn, Sidney Greenstreet, Alvah Bessie, un des 10, a participé activement sans être finalement crédité au scénario de RUTHLESS d’Ulmer. Là encore un très beau DVD et une version complète. Le film est très réussi avec certaines tirades sur Wall Street, certaines pratiques peu évoquées à l’époque (Zachary Scott  – excellent, un de ses meilleurs rôles – est proche du héros du LOUP DE WALL STREET),  avec des personnages de femmes qui sont forts, bien écrits et très bien joués, notamment par Lucille Bremer et Martha Vickers. Sidney Greenstreet est impressionnant, balzacien notamment dans ses citations bibliques. Et Raymond Burr, déjà. Je n’avais jamais noté que la musique était « supervisée » par Paul Dessau (MÈRE COURAGE), le terme s’expliquant par des histoires de syndicat. Il écrivit aussi THE WIFE OF MONTE CRISTO.

Films français

Saluons la sortie bienvenue chez Gaumont du JOURNAL D’UNE FEMME EN BLANC de Lara, œuvre indispensable et courageuse. Voilà ce qu’écrivait Michel Cournot dans un magnifique article paru dans l’Observateur : « JOURNAL D’UNE FEMME EN BLANC est un acte civique qui a droit à l’estime parce que luttant à découvert sur un terrain interdit, ce film énonce la vérité sans accommodement ni mesure. … Autant Lara devait faire un film évident non seulement pour qu’il soit vu et compris par les femmes non privilégiées mais surtout qu’il soit marqué au sceau de ces femmes, pétri de la lutte de ces femmes et de leur condamnation. Un film difficile, excentrique, singulier, à propos de cette loi française de 1920, qui fait de l’avortement une obligation et un crime. Un film clair et beau, voilà ce qu’il fallait faire et qui a été fait. »
Le film en effet est remarquable, incroyablement audacieux. La description de l’hôtel miteux où vit une jeune femme qui se fera avorter car elle sait qu’elle ne peut élever un enfant dans cet environnement, est d’une grande force. Tout comme sa réflexion à l’hôpital (où Michel Cournot note que l’on comprend que c’est la première fois qu’elle dort dans des draps blancs et qu’il a fallu qu’elle meure d’un avortement pour qu’elle connaisse ce plaisir) : « Ici, on n’a même pas besoin de se lever pour sentir qu’il fait beau. » Le scénario de Jean Aurenche et René Wheeler, digne, fort, parle de sujets tabous, des années avant la loi Veil.

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UNE FEMME EN BLANC SE RÉVOLTE, écrit par le seul Aurenche, me paraît encore supérieur. Plus dépouillé, plus tendu bénéficiant des extérieurs de province. Le scénario prend le sujet à bras le corps et épingle aussi bien l’absurdité répressive des lois, la lâcheté des hommes, le conservatisme du corps médical. Et l’héroïne prend des positions incroyablement radicales pour l’époque. Voir la scène du dîner où Danielle Volle, excellente, modeste, rigoureuse, soutient des positions qui scandalisent un médecin conservateur et finit par dire à un prêtre qu’elle ne croit pas à l’âme ni à la vie éternelle mais qu’elle défend simplement le droit des femmes.

Films de femmes

Jacqueline Audry a dirigé un petit corpus de films dont certains, comme le signale Jacques Lourcelles, osent aborder des thèmes tabous dans le cinéma français et qu’ils sont les seuls à évoquer à l’époque, en s’abritant souvent derrière le vernis du film à costumes, de la reconstitution ironique de la Belle époque. MINNE L’INGÉNUE LIBERTINE, par exemple parle avec une certaine force de l’insatisfaction féminine. Dans une séquence surprenante, plusieurs femmes essaient de définir l’orgasme (« c’est une balançoire » dit l’une d’elle). Jean Tissier est épatant en vieux noceur libertin qui va se conduire de manière surprenante et Danielle Delorme est piquante à souhait en corset et en déshabillés. Le propos de Colette est respecté même si la fin l’affadit quelque peu. OLIVIA est encore supérieur et décrit l’univers d’un pensionnat de jeunes filles où l’amour et donc l’homosexualité féminine jouent un très grand rôle. Pas de DVD malheureusement pour ce beau film, photographié avec soin par Christian Matras. Ces deux œuvres sont dialoguées avec vivacité et ironie par Pierre Laroche, mari de Jacqueline Audry et collaborateur de Prévert sur LUMIÈRE D’ÉTÉ et aussi, hélas, sur LES VISITEURS DU SOIR. Il me reste à voir GIGI et  MITSOU. J’ai moins d’espoir dans LE SECRET DU CHEVALIER D’EON ou dans HUIS CLOS, adaptation de Sartre avec Arletty.

minneingenue  labanquenemo

LA BANQUE NEMO est le seul film que je connaisse de Marguerite Viel. Ecrit par Louis Verneuil d’après sa pièce, le scénario est très proche de celui de l’excellent AVEC LE SOURIRE de Maurice Tourneur : l’ascension d’un arriviste qui foule aux pieds tous ceux qui l’aident. Mais ici la mise en scène est souvent indécise, lourde est très inférieure à celle de Tourneur, avec une direction d’acteur très inégale (Bergeron, souvent formidable, en fait des tonnes). Victor Boucher s’en tire et il est l’atout du film avec le comédien qui joue Nemo. Il y a quelques audaces dans la description des scandales financiers, notamment une scène de conseil de ministres qui fut coupée à la sortie.

Films de Maurice de Canonge
POLICE JUDICIAIRE est une plaisante surprise. Une relation sobre, presque documentaire de la vie quotidienne au 36, que l’on ne quitte guère, même pour visiter des scènes de crime. Je ne m’attendais pas à cela de de Canonge, metteur en scène souvent consternant et d’une rare paresse (ARÈNES JOYEUSES, TROIS DE LA MARINE). Même UN FLIC ne m’avait pas convaincu. Et là tout sonne juste, les acteurs jouent sobrement. Je n’avais vu qu’un seul film regardable dirigé par lui (c’était un ancien flic). Il est aussi bon qu’IDENTITÉ JUDICIAIRE de Hervé Bromberger, sinon meilleur. Et Paul Vecchiali dit beaucoup de bien de L’HOMME DE LA JAMAÏQUE, de THÉRÈSE MARTIN et de MISSION SPÉCIALE.

policejudiciaire

Comme me l’écrit Jean-Marc Berlière, historien remarquable dont il faut lire les passionnants ouvrages [dont le très décapant pamphlet L’Affaire Guy Môquet – Enquête sur une mystification officielle, Larousse, Paris, 2009 (avec Frank Liaigre) et Liaisons dangereuses : miliciens, truands et résistants (été 1944), Librairie académique Perrin, 2013 (avec F. Le Goarant de Tromelin) ; Histoire des polices en France de l’Ancien Régime à nos jours, Nouveau Monde éditions (avec René Lévy), 2011 – réédition revue et augmentée en format de poche en 2013 (même éditeur) ; Ainsi finissent les salauds : séquestrations et exécutions clandestines dans Paris libéré, Robert Laffont, 2012 (avec Franck Liaigre)] : « C’est avec L627 et LE PETIT LIEUTENANT le meilleur film, le plus fidèle et réaliste que j’ai vu sur le travail quotidien de la police et en l’occurrence de la PJ-PP dans les années 1955… Reconstitution à la limite du documentaire, galerie époustouflante d’acteurs et de « silhouettes » pour TOUS les rôles…  Seule faiblesse : l’invraisemblable faute professionnelle commise par le flic incarné par Yves Vincent (qui met en présence deux accusés sans leur avoir au préalable fait signer leur PV…), mais le reste est criant de vérité. »

Merci de ce conseil avisé.

Ce à quoi souscrit mon ami Jean Olle Laprune : «  Effectivement POLICE JUDICIAIRE est une vraie surprise : le ton est inhabituel et sobre, les personnages assez nombreux sans que l’on se perde. Et on suit toutes les intrigues avec intérêt, y compris les problèmes conjugaux d’Yves Vincent. Quand on pense que le même réalisateur faisait l’année précédente TROIS DE LA MARINE avec Merkès et Merval, que je n’ai pas vu, mais dont on peut penser que l’ambition ne l’étouffait pas… En tout cas le dossier Canonge mérite un coup d’œil. »

Lhomme-De-La-Jamaique

L’HOMME DE LA JAMAÏQUE est en effet un film étrange : une histoire d’aventures avec pas mal d’extérieurs à Tanger, un Pierre Brasseur en aventurier vraiment sobre (en revanche Georges Tabet qui joue Lopez avec un faux accent est exécrable ce qui tranche sur le reste de l’interprétation) : trafics de devises et d’armes, traîtrises en tout genre et brusquement le film bascule vers le mélodrame sur fond de lèpre (Caussimon joue, très bien, un médecin qui soigne les lépreux). Le dernier quart est plutôt réussi dans un registre original.

Je voudrais revoir MISSION SPÉCIALE (souvenir d’une 16 mm de Franfilmdis projeté chez Sarde) dont Vecchiali (3 coeurs) dit qu’il est très supérieur à L’ARMÉE DES OMBRES et qu’il ne comprend pas l’obscurité  de ce film.

Jean Boyer
unmauvaisgarconDe mon ami Jean Olle Laprune : « Je viens de revoir UN MAUVAIS GARÇON pour qui j’avoue j’ai la plus grande sympathie ! Le film transpire la bonne humeur. Les clins d’œil aux clichés du moment se succèdent (l’apache, la cuisinière, l’avocat), l’abattage de Danielle Darrieux, celui d’Alerme et même je trouve d’Henri Garat, font tout passer et les chansons arrivent quand il le faut. Tout ceci est réjouissant même si la chute est disons un brin conservatrice, les apparences sont sauves…
J’ai la même indulgence pour LA MADELON, même si franchement, le film est quand même plus nanar et bien moins mis en scène. La paresse en est parfois gênante et le sujet vraiment démodé. Il devait déjà l’être à l’époque mais là, c’est un peu trop ! Mais il dégage une telle jovialité, une telle volonté de distraire et de faire rire que j’ai quand même éprouvé de la sympathie pour ce curieux objet. Même si le jeu de Jean Richard est embarrassant, Line Renaud est pour le coup très présente et imprime l’écran. »

Je dois dire que je partage l’enthousiasme de Jean pour UN MAUVAIS GARÇON, excellente comédie écrite et réalisée par Jean Boyer. Darrieux est merveilleuse et sa version de la chanson titre est anthologique. Alerme est extrêmement amusant en père précautionneux qui se piège lui-même et Henri Garat est meilleur que dans tous les autres films où je l’ai vu.

PRENDS LA ROUTE est tout aussi épatant. Ici encore toutes les chansons sont écrites par George Van Parys et Jean Boyer et beaucoup sont délicieuses (il y a toujours un passage à niveau).Boyer fait chanter les acteurs dans le touring club anticipant sur Jacques Demy ou en extérieurs avec de longs travellings. Il fait intervenir des photos et des portraits qui reprennent le refrain et Pills, Tabet et Claude May ont le sens du rythme.

  leurdernièrenuit

LEUR DERNIÈRE NUIT qui a de sérieuses qualités (et malheureusement à la fin un scénario trop lourd avec ce passé de Gabin dont on se fout quel que soit la manière géniale dont il le dit). On trouve deux ou trois séquences d’action bien filmées (le meurtre de l’indic, la poursuite dans l’usine et surtout la manière dont Madeleine Robinson découvre qu’il est blessé avec ce raccord dans la glace très élégant). Et Gabin est très crédible en bibliothécaire.

Une surprise
LES CLEFS DE BAGNOLE est en effet un film diablement original, souvent cocasse avec des trouvailles hilarantes (quand Baffie explique à Russo que sa scène d’amour est coupée parce que c’est une ellipse). Le film fourmille d’idées, de gags qui parfois tombent à plat mais c’est la loi du genre quand on mitraille tous azimuts. Quelques lourdeurs ici et là, des plaisanteries scato pas terribles mais aussi des plans surprenants, Depardieu très sobre en fromager. L’explication face aux producteurs est un moment d’anthologie.

clefsdebagnole

Et profitons de l’actualité de TIMBUKTU, œuvre forte et adulte qui prend une allure prémonitoire après la tuerie de Charlie Hebdo (là on lapide, on assassine des jeunes coupables de faire de la musique), pour citer et revoir les autres films de Sissako : EN ATTENDANT LE BONHEUR, BAMAKO…

en attendant le bonheur  bamako

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Jan
07

CHEFS D’ŒUVRE FRANÇAIS

VIOLETTE de Martin Provost est une biographie de Violette Leduc, très grand écrivain (dont le parcours fut des plus violents), que les deux actrices, Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain, rendent prenante car elles ne cherchent jamais à adoucir leur personnage.

violette

FILMS DE DUVIVIER
golderVoici ce que m’envoie mon ami Jean Ollé-Laprune sur DAVID GOLDER, premier film parlant de Julien Duvivier, œuvre d’une rare audace mais qui demande – vu son sujet qui n’a pas les mêmes résonnances en 1930 que maintenant – une introduction historique, ne serait ce que pour préciser que Duvivier est l’un des cinéastes français qui, avec René Clair et des scénaristes comme Jeanson, Prévert, Aurenche, Bost, Spaak, n’émit jamais la moindre opinion antisémite. Le scénario de Duvivier (qui signe aussi les dialogues) adapte le roman d’Irène Némirovsky dont on connaît le destin tragique ; la France malgré ses succès littéraires ne lui accorda pas sa protection, ni même la nationalité française et elle périt dans les camps et nul doute que le cinéaste trouva que ce sujet présentait des ressemblances avec le Père Goriot : « Il faut toujours revoir les films ! Je me suis remis hier soir DAVID GOLDER dont je ne conservais pas un très bon souvenir, à cause d’Harry Baur, à cause du son un peu balbutiant, à cause de l’ambiance limite en matière d’antisémitisme du quotidien… J’avais tort, et je trouve le film très impressionnant, bien joué, sec, direct… La scène entre Harry Baur et sa femme dans l’hôpital est parfaite, elle s’arrête juste quand il faut. De même que le passage soviétique avec les oligarques dans le bureau est hallucinant. Même Lubitsch ne l’a pas suivi dans NINOTCHKA ! Mais je trouve que les scènes de mondanités à Biarritz sont assez bien vues (l’addition qui traîne sur la table vide) et même le dialogue sur les quais entre Golder et son vieux copain se révèle empreint d’humanité, si l’on fait abstraction des détails « pittoresques » qui comme tu le dis, n’avaient pas la même signification en 1930 qu’aujourd’hui, mais bon… Golder, c’est vraiment la description de la solitude et de l’isolement dans tous ses paradoxes, PANIQUE n’est pas très loin en fait.»

LE PAQUEBOT TENACITY, sorti récemment chez René Château (les éléments de départ étant médiocres, je pense que la qualité du transfert ne doit pas être maximale mais peu importe, le film est tellement rare, tellement important) est un des chefs d’œuvre méconnus de Duvivier, l’un de ses plus beaux films. C’était celui qu’il préférait. Sa narration témoigne d’une liberté tout à fait moderne (qui lui valut des critiques stupides lors de la sortie), d’une chaleur qui bat en brèche l’idée convenue qui veut que Duvivier fasse toujours preuve de noirceur. Très belle musique de Wiener et début surprenant avec ce film dans le film. Ne manquez cette œuvre sous aucun prétexte.

paquebottenacity

DECOIN (bis)
Revu au Festival Lumière, le splendide AU GRAND BALCON est un des meilleurs films de Decoin, un de ses plus personnels (on le sent présent dans de nombreuses scènes et répliques). Il avait été aviateur (11 victoires homologuées je crois) et l’hommage qu’il veut rendre aux pionniers, aux créateurs de l’Aéropostale, est bouleversant de sincérité. Pierre Fresnay est absolument génial et on sent que ce qu’il dit contient beaucoup de notations autobiographiques et que Decoin parle de lui, de sa conception de son travail, à travers ce personnage. Magnifique musique de Joseph Kosma et le meilleur rôle de Georges Marchal. Lisez le bel éloge de ce film qu’écrit Paul Vecchiali.

augrandbalcon

cafeducadranRené Château a eu la bonne idée de sortir LE CAFÉ DU CADRAN signé Jean Gehret mais en fait tourné par Decoin qui était interdit de générique à cause de ses film pour la Continental. C’est une remarquable comédie dramatique et unanimiste qui décrit la vie d’un café tenu par le toujours excellent Bernard Blier et Blanchette Brunoy, entre l’Opéra et la Bourse. Le scénario vif, bien écrit, avec des dialogues très en mouvement est dû à Pierre Bénard, directeur du Canard Enchaîné qui, dans la clandestinité, travailla pour Combat et les Lettres Françaises. Signalons que la musique, un joli morceau de jazz, est écrite par l’immense Henri Dutilleux qui  écrivit également la partition d’un autre film de Decoin (il dit beaucoup de bien de leur collaboration dans 1895 et se montre fier de ce qu’il écrivit pour lui). Voilà qui éclaire différemment Decoin, seul cinéaste avec Jean Gehret (LE CRIME DES JUSTES que Dutilleux revendique fortement alors qu’il veut oublier ses premières compositions), Grémillon (L’AMOUR D’UNE FEMME) et plus tard Pialat,  qui prendra une œuvre déjà écrite, à avoir fait appel à ce compositeur de génie.

assassinsdelordreJe ne partage pas complètement l’enthousiasme de Paul Vecchiali sur LES ASSASSINS DE L’ORDRE. Le scénario m’a paru trop linéaire, trop clair (pensez à des portraits de flics violents chez Ray, Preminger ou de Toth) à l’image de la photo de Badal qui, dans ce DVD, parait plate, sans relief mais sans non plus une vérité documentaire que pouvait amener Coutard. Il y a des qualités réelles, un refus des compromis, une fin peu réconfortante avec cependant une magnifique scène finale entre Denner et Brel, le choix de la musique de Maurice Henry et parfois des bonheurs de distribution : plus que Lonsdale, excellent, mais dans un rôle d’une seule couleur, sans arrière-plan, on peut louer Pierre Maguelon ainsi que Catherine Rouvel, presque trop lumineuse, et même la charmante Paola Pitagora. Bien sur la palme revient à Brel, probe, fragile avec un sourire craquant,  dont Vecchiali, prenant un bel angle de défense, vante l’humilité tant du jeu que la démarche du personnage, humilité qui coïncide avec celle du travail de Carné. Denner est aussi magistral et dans la dernière scène, très belle, qui résume la conviction citoyenne de l’œuvre qui est indiscutable. Carné retrouve le ton libertaire d’HÔTEL DU NORD, film à revoir absolument tant on l’a réduit à quelques répliques fastueuses de Jeanson. Le scénario d’Aurenche et Jeanson comprend des scènes formidables : le repas au début où l’on comprend que le gamin est un orphelin récupéré à Barcelone, la première séquence entre Jouvet et Arletty, l’interrogatoire de Jouvet (« du 6.35, j’ai l’oreille musicienne ») avec une intervention fracassante d’Arletty : « Il est peut être pas très observateur. » Vecchiali vante à juste titre la sublime musique de Jaubert et deux des plus belles scènes d’amour de l’histoire du cinéma. Et le décor de Trauner….

14juillet14 JUILLET  de René Clair (totalement supplanté dans Wikipédia par la FILLE DU 14 JUILLET) fut une excellente surprise. Le film possède un charme qui tient le coup et se place dans les vraies réussites d’un cinéaste qu’on a trop méprisé comme le confirme la vision récente de BREAK THE NEWS avec Dick Powell, remarquable comédie. Là encore, la musique de Jaubert, géniale, galvanise littéralement plusieurs séquences, soulignant la beauté de certains travellings (cette arrivée dans un restaurant aux trois-quarts désert) sans parler des variations autour de « A Paris dans chaque Faubourg », d’abord orchestrales, puis fredonnées et enfin peu à peu chantées (parole de Clair). J’ai trouvé Annabella tout à fait excellente, moderne, très sexy, soldant les effets. Elle est aussi meilleure qu’on l’a dit dans HÔTEL DU NORD même si ses scènes avec Aumont sont plus pesantes. Elle possède une grâce, une vérité physique qui inspire Clair : tous les plans tournant autour de sa fenêtre ou de ce qu’elle voit par cette fenêtre. Certains personnages secondaires sont croqués avec quelque insistance mais Aimos et une partie de ce petit monde de concierges, boutiquiers, cafetiers sonnent justes. C’est ce monde populaire qui a disparu du cinéma actuel (et de l’angle de vision des politiques). Ce milliardaire qui distribue sa carte et devient le chauffeur de Raymond Cordy pourrait figurer dans un film de Blake Edwards.

PARADIS PERDU est un mélodrame et un des seuls Gance que le même Vecchiali critique avant les désastres de LA TOUR DE NESLES et d’AUSTERLITZ. Il faut dire que le scénario entasse les moments de chantage affectif et les décisions étranges. Fernand Gravey est remarquable et les deux premiers tiers sont touchants.

paradisperdu  lentraineuse

L’ENTRAINEUSE est une œuvre d’une rare originalité. Un mélodrame avec de nombreux rebondissements mais que le traitement retenu, sobre, sans débordements superflus dépouille de tout arbitraire. Le scénario de Charles Spaak fait preuve d’une rare liberté, introduisant des digressions, des personnages secondaires qui prennent au détour d’une séquence, une force considérable. La vision des personnages reste néanmoins tranchante, d’un pessimisme calme mais affirmé. Michèle Morgan est exemplaire de justesse et de dignité dans son jeu

DU CÔTÉ DE L’EUROPE

Revu SOURIRES D’UNE NUIT D’ÉTÉ de Bergman avec ravissement surtout durant les deux premiers tiers. Un vrai ravissement devant ces actrices éblouissantes de beauté et de talent. Mais je n’ai pas éprouvé le même choc que lors de la découverte, où je l’avais vu 3 fois en une semaine.
Je vais aussi enfin revoir FANNY ET ALEXANDRE très demandé sur ce blog.

souriresdunenuitdete  fannyetalexandre

Pathé a regroupé dans un excellent coffret plusieurs titres de Pedro Almodovar dont des œuvres majeures comme ÉTREINTES BRISÉES, cet hymne au cinéma et à son pouvoir rédempteur, VOLVER, le poignant TOUT SUR MA MÈRE, PARLE AVEC ELLE. Des heures de bonheur.

coffretalmodovar

FILMS AMÉRICAINS PRÉ-CODE

BOMBSHELL est peut être le chef d’œuvre de Victor Fleming. Une comédie trépidante, extrêmement noire, superbement dialoguée par John Lee Mahin, le complice de Fleming et l’un des meilleurs scénaristes américains. La description de la famille de Jean Harlow – splendide – qui l’exploite, la vole, vit à ses crochets, est traitée avec une rapidité, une acuité étonnante. Mahin et Fleming transformèrent un scénario tragique en comédie et donnent à Lee Tracy un de ces personnages d’attaché de presse sans scrupule qu’il porta à la perfection. Il ment à la star qu’il est censé protéger, il l’espionne, piétine ses désirs de maternité (scènes très audacieuses) le tout à une vitesse stupéfiante.

bombshell  reddust

RED DUST (Warner Archive) est une autre grande réussite de Fleming et l’un des titres majeurs de la période Pré-Code, pourtant si riche. En s’inspirant de quelques conseils donnés par Hawks, Fleming et le scénariste John Lee Mahin détruisent la pièce qu’ils étaient censés adapter qui n’osait même pas parler d’adultère, selon Michael Sragow dans « Victor Fleming an American Movie master », pour en faire une histoire de sexe, d’amour, de trahison et de respect. Ils ajoutent l’ouverture où l’on voit Gable se battre avec les éléments pour récolter son caoutchouc, bouleversent la construction et réécrivent le script sur le plateau. Le film, déborde de vitalité : les personnages n’arrêtent pas de marcher, de travailler, de s’affronter dans une jungle balayée par des pluies, des orages incessants (Fleming utilise à merveille les décors du TARZAN de Van Dyke et les rend oppressants). Ils sont trempés, couverts de boue (on ramène d’ailleurs la culotte de Mary Astor, touche hyper audacieuse, dans un piteux état), assaillis par les insectes : l’un d’eux atterrit même sur la lèvre de Gable. Il déborde aussi d’énergie sexuelle et cela dès la première et spectaculaire apparition de Harlow : on jette le corps d’un ivrogne dans une chambre plongée dans l’obscurité et on entend un cri. Il y avait une femme dans le lit : « Polyanna, fille de joie ». Une énergie sexuelle que dégagent tous les personnages, à commencer par celui de Gable qui fut repéré pour ce rôle par Mahin et remplaça John Gilbert, Mary Astor, qui traduit mieux que quiconque la naissance du désir, de l’érotisme et bien sûr Jean Harlow, « une merveille, dont le jeu repose très peu sur cette séduction aguicheuse que les déesses hollywoodiennes sont censées incarner ; sa sexualité est franche, directe, évidente ; elle bouge comme un athlète » (Gerald Weales). Elle ne l’empêche pas d’avoir un code et des sentiments qui lui permettent de faire comprendre à Gable qu’il se comporte comme un salaud. On peut penser que Fleming et Mahin s’inspirent pour la deuxième partie du film, d’un épisode biblique, celui où le roi David allait faire tuer son rival en amour, pour mieux le retourner. Ce chef d’œuvre de chorégraphie érotique, aux personnages relativement complexes (il y a des côtés noirs dans la brutalité virile de Gable qui traite Vantine de manière odieuse), est formidablement dialogué par Mahin : quand on suggère d’appeler un docteur pour soigner le mari de Mary Astor, Harlow répond : « Ces docteurs français, ils vont venir prendre le pouls, vous offrir du cognac, se plaindre du gouvernement, boire le cognac et s’endormir sous le lit. » Ou bien, elle lance au perroquet : « Qu’est-ce que tu as mangé ? Du ciment ? » Certains moments, la fin notamment (la dernière scène fut écrite par Donald Ogden Stewart) ne sont pas exempts de mélancolie. Et ce film tourné en studio paraît plus dense, plus concis, plus tendu et sonne plus juste que le remake, plutôt léger, que Ford filma en extérieurs.

mindreaderTHE MIND READER est l’un des 6 films que Roy Del Ruth tourna en 33, qui méritent tous d’être vus notamment BUREAU OF THE MISSING PERSONS, LADY KILLER, un des titres majeurs de James Cagney, THE LITTLE GIANT, comédie très amusante qui permet à E.G. Robinson de se moquer de son interprétation dans LE PETIT CÉSAR. On peut sans doute expliquer cette série de réussites (l’année d’avant il y avait eu TAXI, WINNER TAKE ALL) par la qualité des scénaristes travaillant à l’époque à la Warner, les exigences du studio en matière d’économie, de rapidité narrative, l’esprit subversif qui régnait durant la période Pré-Code,  il n’en demeure pas moins que le travail de Roy Del Ruth est plus fluide, plus dégraissé, plus efficace que celui de nombreux autres réalisateurs maison comme Archie Mayo, William Keighley, voire Lloyd Bacon, sa direction d’acteur moins lourde. THE MIND READER (Warner archive), sans doute vendu aux partisans du Code Hays comme une histoire de rédemption,  biaise avec ces prémisses et se révèle souvent caustique, incisif, voire cruel (les victimes d’un faux magicien, le Grand  Chandra sont le plus souvent stupides). Warren Williams joue un des ces escrocs affables, mielleux, impitoyables qui étaient sa spécialité : faux docteur, faux dentiste, il devient un faux mage. Le scénario tendu de Robert Lord et Wilton Mizner (ils écrivirent ensemble ONE WAY PASSAGE, FRISCO JENNY et la carrière de Mizner s’arrêta en 1934) mêle la comédie cynique (« au tribunal, les filles ont toujours moins de 16 ans », déclare Allen Jenkins), la romance sentimentale, vite soldée, et des touches assez noires sur une Amérique déboussolée après la Dépression et Roy Del Ruth le filme avec sa concision, son sens du rythme habituel.  Il utilise remarquablement bien chaque décor (avec une gare, il en crée cinq ou six), trouve ici et là des plans assez marrants (les verres d’alcool filmés au grand angle qui filent sur le comptoir). Mayo Mathot, qui fut la femme de Bogart et n’est connue que pour cela, est très touchante dans une des meilleures scènes où elle vient s’en prendre à Chandra qui a ruiné sa vie et la dernière réplique d’Allan Jenkins (dans un personnage plus complexe que d’habitude qui, sous ses allures bonasses, n’éprouve aucun scrupule, aucun doute, aucun remords quant aux délits qu’il commet) est anthologique : regardant Warren Williams partir en prison, il constate,  « dur d’aller au trou au moment où la bière est en train de revenir ».

EMPLOYEES’ ENTRANCE, tourné la même année est le meilleur des 6 et doit figurer parmi les titres majeurs de la période. Il est extrêmement emblématique des qualités, de l’audace mais aussi de la complexité dont témoignent beaucoup d’œuvres durant cette brève période de liberté. Peut être que le fait de sentir justement que ce moment risquait d’être bref, qu’il était menacé, a dopé l’énergie, la vitalité des scénaristes et des metteurs en scène, a insufflé une urgence à certains de ces films. L’audace dans EMPLOYEES’ ENTRANCE évidemment concerne en premier lieu tout ce qui touche au sexe. Warren Williams, inoubliable en directeur d’un grand magasin qu’il gère avec une énergie, un cynisme impitoyable, rencontre la très jeune Loretta Young (sublime de beauté, inoubliable en innocente pervertie) qui recherche du travail. Il l’invite et le même soir couche avec elle : « Je vais réfléchir toute la journée à ce que vous m’avez dit », murmure-t-elle. – « Nous avons toute la nuit. » Fondu au noir. Le lendemain, elle est engagée. Plus tard, Williams qui a appris qu’elle a épousé son assistant (il lui avait interdit de se marier), va s’ingénier à détruire leur mariage. En la faisant boire, il couche de nouveau avec elle. Mais le film est tout aussi fort et tout aussi actuel dans sa description du contexte économique. Les méthodes de Williams, la manière de se comporter avec ses sous-traitants, évoquent avec une vérité criante les procédés de la grande distribution en France, de Wall Mart aux USA. La peinture des actionnaires, du patron qui ne s’occupe de rien, passe son temps sur son yacht et se fait appeler Commodore et des banquiers clairement désignés comme des parasites qui s’engraissent sur le dos des travailleurs a des échos rooseveltiens. Même si, dans un louable souci de complexité, on nous montre que Williams refuse de licencier, préférant diminuer les salaires, y compris le sien. On le voit aussi pousser un de ses anciens employés au suicide (filmé de manière très elliptique, ce qui en décuple la force).

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Ce film figure dans un coffret Forbidden Hollywood 7  qui comprend aussi le passionnant SKYCRAPER SOULS, toujours avec Warren Williams dans un rôle quasi identique. Ses rapports avec sa femme très bien jouée par Hedda Hopper qui vient sans cesse lui réclamer de l’argent avec un détachement souverain comptent parmi les meilleures séquences du film. Ici, il séduit, entre autres, la délicieuse Maureen O’Sullivan (dont la scène d’ivresse est anthologique) qui accepte très facilement cet état de fait et semble heureuse d’être la maîtresse de Williams. Le moment où ce dernier la fait boire et est interrompu par le financier dont il a besoin et qui, littéralement, prend sa place auprès de la jeune fille, constitue l’un des sommets du film. Et bien sûr, il trahit les banquiers puis son nouvel associé pour faire monter artificiellement la Bourse, créer un krach, posséder son gratte-ciel au prix une fois encore d’un suicide. Contrairement au film précédent, il sera puni. Une de ses anciennes maîtresses lui tire dessus, ce qui le plonge dans un état de stupéfaction (Williams est formidable quand il réalise ce qu’il lui arrive). Le futur réalisateur Norman Foster joue le jeune premier qui fait une cour frénétique et maladroite à Maureen O’Sullivan : il passe son temps à trébucher, à se cogner dans les objets, les étalages, les gens, provoquant chutes et  collisions et ce fut peut être une des sources d’inspiration pour le personnage de Fonda dans LADY EVE. Sa réconciliation avec sa fiancée ne convainc qu’à moitié. La mise en scène d’Edgar Selwyn, un scénariste qui réalisa aussi MEN MUST FIGHT qu’on dit polémique, est plus lourde, moins fluide que celle de Roy Del Ruth. Certains intermèdes comiques sont un peu insistants et l’espace est moins bien utilisé surtout dans la première partie et Selwyn parvient moins bien à mettre en valeur la multiplicité des couples qui se déchirent, se séparent même s’il réussit un beau plan quand Helen Coburn, ayant découvert que Wallace Ford est enfermé dans la chambre forte, l’abandonne et part avec un autre homme dans le lobby du gratte-ciel.

AUTRES FILMS AMÉRICAINS

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SEE NO EVIL (TERREUR AVEUGLE) de Fleischer est une déception après un premier tiers plutôt bien mis en scène (quelques zooms insistants), assez tenu, avec des plans réellement impressionnants (la découverte des différents cadavres filmée avec élégance et style). Mais le scénario s’enlise et devient même carrément absurde. L’héroïne, en bonne protagoniste de films d’horreur, fait tout ce qu’elle ne devrait pas faire. Le coup de théâtre final est accablant et on se demande s’il n’est pas un peu dû à Fleischer qui, par souci démocratique, aurait voulu éviter qu’on charge les gitans.

ledernierdesgeantsAvec THE SHOOTIST (LE DERNIER DES GÉANTS), la déception est encore plus grande comme si le sujet dans son ambition autobiographie (Wayne joue un célèbre gunfighter atteint de cancer, comme la star) avait littéralement pétrifié Siegel et la plupart des acteurs, qui ressemblent tous à des figures de cire de James Stewart à Lauren Bacall (une mentions spéciale pour cette dernière qui est incroyablement raide, incapable de donner la moindre sincérité, le moindre frémissement à son personnage) et ne véhiculent aucune émotion. Il faut dire que le scénario aseptise totalement le beau roman de Glendon Swarthout, « Le Tireur », qui vient de paraître chez Gallmeister. Mais même quand il reprend presque mot pour mot une scène, la mise en scène de Siegel est tellement plate que rien ne passe. Et les scènes d’action sont d’une mollesse sidérante. La comparaison avec une autre adaptation d’un roman de Swarthout, THE HOMESMAN, fait apparaître de façon éclatante les qualités, l’invention de Tommy Lee Jones. Et son respect intelligent vis- à-vis du roman.

ANGEL HEART est peut être le chef d’œuvre d’Alan Parker. Une nouvelle vision prouve non seulement que le film tient remarquablement le coup (les affrontements entre Mickey Rourke, bluffant, et De Niro sont toujours aussi spectaculaires) mais qu’il se bonifie et que beaucoup de réalisateurs de films d’horreur pourraient en prendre de la graine. L’atmosphère de la Nouvelle Orléans, la présence vaudou, sont formidablement rendues : une poursuite à pied dans les ruelles se révèle beaucoup plus intéressante que la plupart des scènes similaires en automobile.

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