Saluons la ressortie qui va se traduire par de nouveaux masters du SOLEIL BRILLE POUR TOUT LE MONDE que j’ai revu avec un bonheur extrême. Voilà encore un film libre, sur la décence ordinaire qui doit plaire à Jean-Claude Michéa.
Et aussi du magnifique LE JOUR SE LÈVE. Revoyez-le, relisez l’article de Sautet dans le Positif 410 et écoutez la sublime partition de Maurice Jaubert construite sur le battement d’un cœur, sa moins mélodique, sa plus puissante.
Et puisqu’on parle musique je voudrais recommander le CD du Stéphane Kerecki Quartet, NOUVELLE VAGUE qui reprend de manière jazzistique les partitions de Delerue, Duhamel, Legrand, Misraki, de PIERROT LE FOU à ALPHAVILLE. Un régal.
LES FEMMES DU BUS 678 écrit et réalisé par Mohammed Diab s’attaque à un grand tabou, le machisme dictatorial, omniprésent dans la société égyptienne et le fait sans biaiser, sans tricher. Le propos est parfois didactique (comment éviter cela avec un tel sujet si on veut être compris) et on peut regretter avec Philippe Rouyer que la mise en scène soit loin d’être au niveau des ambitions de l’entreprise. Mais l’énergie des comédiennes et du réalisateur-scénariste qui a pris comme modèle les films d’Iñárritu pour entrelacer les destins de ses héroïnes, ne nous laisse pas indifférent ». J’ajouterai que Maged El Kedwany est formidable en inspecteur chargé de l’épineux dossier, qu’on y voit de la stand up comédie en Egypte et que la conviction des auteurs emporte l’adhésion.
Nous avons pu enfin revoir L’AMI RETROUVÉ (REUNION) de Jerry Schatzberg qui a été restauré par TF1. Le film tient incroyablement bien le coup et on est frappé par la discrétion, la subtilité, l’élégance avec lesquelles Schatzberg et Pinter décrivent l’évolution de la situation historique, la montée progressive du danger, de la menace. Toutes les premières apparitions des SA, leurs premiers actes de violence sont le plus souvent filmés en fond de plan : une altercation dans une brasserie en plein air est cadrée de loin, en plan large. Le scénario dense mais jamais dictatorial de Pinter permet à Schatzberg de jouer avec la durée (des plans, des actions), avec l’espace : les promenades des deux jeunes gens le long des rues, les arrêts devant la grille du « château » du comte de Lohenburg (les séparations devant cette grille donnent lieu à toute une série de variations émouvantes ou tendres) sans oublier ces interminables escaliers, une des motifs dramatiques du film. Quand on revisite tous ces décors des années après, l’effet est souvent poignant. Ainsi la demeure où habite l’ex-petite fille qui tenait des propos pro-nazis et qui maintenant, à demi-abandonné, laisse entrevoir dans les pièces des meubles recouverts de housses (belle idée d’Alexandre Trauner). C’est là que la vieille dame à qui il demande des renseignements laissera échapper que c’était le bon temps que ces années 32/33. C’est un triomphe d’élégance, de dignité, une œuvre fière, dépourvue de tout apitoiement sentimental, de toute manipulation dramatique. Magnifique musique de Philippe Sarde lointainement inspirée par Ry Cooder.
Je n’avais jamais revu LA ROUTE DES INDES depuis la sortie et le film m’a paru plus aigu, plus élégant et subtil que dans mon souvenir. J’attendais peut-être une œuvre épique et ce n’est pas ce qu’a voulu faire Lean qui cherche avant tout à regarder les frustrations, les préjugés, les œillères qui minent les rapports sociaux et personnels. La frustration sexuelle, le puritanisme de Judy Davis très sensible dans l’extraordinaire scène de la visite au Temple où elle est troublée par les statues puis attaquée par les singes, entraîne une épouvantable erreur judiciaire qu’utilisent les extrémistes des deux camps. On est plus proche de MADELEINE que du DOCTEUR JIVAGO. C’est aussi un film hanté par l’ombre de la mort, une mort qui va paradoxalement réconcilier certains personnages. Penser aux derniers mots de Lean sur son lit de mort, à John Boorman : « On a été heureux, on a fait des films » – « Mais ils ont essayé de nous en empêcher » – « Oui, mais on les a eus ». Je pensais à ce moment durant tout le film.
WILD BILL est une nouvelle variation révisionniste sur la fin de Wild Bill Hicock avec son lot de fulgurances, de dialogues brillants, une interprétation souvent magistrale, une vision noire qui ne manque pas d’audace. Mais le film piétine et se répète dans le dernier tiers et on a du mal à s’identifier aux héros dont les hésitations, la manière dont ils refusent soutien et aide, bref l’attitude suicidaire, semble théoriques.
Se plonger encore une fois dans LA MORT AUX TROUSSES est une cure de jouvence. On marche à tous les rebondissements. Quel dialogue notamment dans les scènes entre Eva Marie Saint et Cary Grant.
FILMS ANGLAIS
8 HEURES DE SURSIS de Carol Reed reste un des plus films les plus audacieux, les plus personnels, les plus intrépides du cinéma anglais. On reste stupéfait devant l’âpreté du récit, la dureté du ton, la force des partis pris dramatiques : James Mason est blessé très rapidement et va se déglinguer pendant tout le film alors qu’il erre d’un refuge à l’autre. Rien de consensuel, de facile dans les choix de Reed et l’on comprend l’admiration de Roman Polanski pour cette œuvre qui ose tout, s’écartant du réalisme, flirtant avec l’onirisme, insérant ici et là des plans sortis de nulle part dont certains peuvent paraître clinquants (ces visages qui apparaissent dans la mousse de bière). La plupart du temps, visuellement, le résultat est souvent époustouflant tant dans l’appréhension des décors – magnifiques – que dans les éclairages. Reed joue avec la pluie, la neige, la brume, réunit une galerie de personnages qui deviennent de plus en plus déments (sauf Kathleen Ryan belle actrice, sobre et digne) comme s’ils émanaient de l’esprit du héros blessé. Une petite réserve sur Robert Newton, toujours cabotin et qui m’a paru assez en dessous de son personnage alors que beaucoup d’autres sont formidables : Denis O’Dea, Cyril Cusack. A redécouvrir d’urgence. Très beau Blu-ray et présentation enthousiaste de Jean-Pierre Dionnet.
A l’opposé de ces ambitions esthétiques, on découvre un Carol Reed alerte, enjoué mais lucide dans WEEK END (BANK HOLIDAY) qui m’avait marqué quand Frédéric Mitterrand, allant à l’encontre des idées reçues (par qui dirait Prévert) l’avait présenté dans son hommage au cinéma anglais à l’Olympic. Cette chronique unanimiste très inventive change plusieurs fois de ton, de registre, démarre dans le drame, se teinte vers la fin de mélancolie. Un grand nombre de seconds rôles épatants comme Garry Marsh, le patron qui part avec la caisse, Wilfrid Lawson, le policier qui l’interroge, Renée Ray. La drôlerie, la légèreté du ton n’empêche pas une certaine dureté. Reed sait saisir en deux plans un décor, un intérieur : le lobby du Grand Hôtel, le bar.
Autre réussite encore plus spectaculaire, L’HÉROÏQUE PARADE (THE WAY AHEAD) fait exploser les codes et les clichés d’un genre peu alléchant : le film d’entraînement. Certes le ton reste patriotique (il s’agit de souder la Nation) et le récit suit un parcours balisé mais que les scénaristes (le talentueux Eric Ambler et… Peter Ustinov qui compose en outre une inoubliable silhouette de franco-algérien s’exprimant dans un français sidérant mais moins ubuesque que celui qu’utilise son interlocuteur). On ne verra à la fin qu’une scène de guerre, très bien filmée, avec des destructions de maison impressionnante. THE WAY AHEAD joue plutôt sur l’attente, l’obligation de s’entraîner sans cesse et le seul moment d’action sera le torpillage du bateau qui transporte le bataillon, séquence magistrale, dirigée avec une force, une invention incroyable. Le film grouille de personnages, tous admirablement joués, de moments de déception (le soldat qui se fait voler son monologue), d’espoirs frustrés. Toutes les séquences familiales regorgent de détails cocasses, chaleureux, le tout traité rapidement, de manière souvent elliptique. Stephen Frears considère cette œuvre comme le meilleur film anglais.
L’ESPION NOIR, première rencontre entre Powell et Pressburger est une réussite épatante. Faire de l’officier allemand le personnage principal du film témoigne d’une vraie liberté de ton (qu’on retrouvera dans 49e PARALLÈLE) d’autant que les auteurs ne lui font pas de cadeau, mettent en valeur son charme, sa prestance, son intelligence, son esprit critique mais aussi sa dureté (le premier meurtre en dit long mais ne révélons pas les coups de théâtre). Conrad Veidt est superbe mais ce qui m’a surtout impressionné, c’est l’invention visuelle, la manière dont Powell mélange les extérieurs écossais dont il était friand aux décors de studio.
L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP d’Hitchcock (1934) : par préjugé assez stupide, je n’avais jamais vu cette première version qui se révèle une fort bonne surprise. La narration est beaucoup plus rapide, resserrée que dans le remake même si cela solde un peu le suspense final (plus de Que Sera, Sera). Pierre Fresnay remplace avantageusement Daniel Gelin et on sent les affinités d’Hitchcock avec la Suisse (encore que Stewart ne parvenant pas à allonger ses jambes dans le remake était un bon moment). Mais ce qui frappe ici, c’est la manière dont la comédie de couple (avec des stridences, des inquiétudes) prend brusquement un ton plus noir donné d’emblée par l’interprétation doucereuse, sarcastique, faussement sentimentale de Peter Lorre, redoutable calculateur, renforcé par certaines recherches visuelles. La violence est plus dure et les espions tuent un certain nombre de policiers désarmés (on voit un camion leur apporter des armes). La chapelle avec ses fidèles inquiétants, ses grilles deviendra je crois une boutique de taxidermie dans le remake en Vista vision qui est beaucoup plus long tout en supprimant des scènes essentielles. Edna Best, excellente, joue un rôle plus fort que Doris Day et la manière dont elle identifie le canon du fusil grâce à ses larmes est une idée géniale.
Enfin je ne saurai trop recommander le coffret ALAN BENNETT AT THE BBC, une suite de petites merveilles comprenant les premiers téléfilms de Stephen Frears (dont une chaleureuse évocation d’une odyssée cycliste dans l’Angleterre de 1911 où Bennett glisse des aperçus surprenants, touchants ou cocasses. On peut voir un film sur Kafka, sur Proust, une mélancolique évocation de sa famille lors de la visite d’un hôtel (ce documentaire m’a ravi), certains de ses portraits acérés et bouleversants… Ne pas manquer.
APOLLO 13
Je vais relancer la polémique sur Ron Howard en louant APOLLO 13 qui est dans son genre une réussite. Le scénario est intelligent et Howard tire le meilleur parti du très petit nombre de décors (deux prédominent : la navette spatiale et la grande salle d’opérations) en donnant une grande vivacité aux séquences collectives et une énergie plus intime, plus directe à tout ce qui concerne le sort des astronautes. Il faut dire que Tom Hanks dont on sent l’implication, dope littéralement le film, entraine ses partenaires. Ses exigences forcent l’équipe à être à sa hauteur et l’on sent une vraie communion entre lui et Howard.
CHEFS D’ŒUVRE FRANÇAIS
MADAME DE… en Blu-ray : chef d’œuvre absolu, total, mozartien. On est happé dès la première scène durant laquelle Darrieux (ou plutôt ses mains) recensent ses bijoux pour savoir lequel vendre tout en fredonnant le magnifique thème écrit par van Parys. De temps en temps, ce dernier intercale quelques accords d’orchestre, irréalistes. Idée sublime qui transcende encore cette ouverture géniale. Et le reste est à la hauteur. Darrieux est ici la plus grande actrice française et Boyer et de Sica sont tout aussi éblouissants. Quelle partition, quels solistes. Sans parler des personnages secondaires comme Jean Galland génial en diplomate, effaré par les (« fausses ») raisons du duel qu’il prend au sérieux.
La vision de LETTRE D’UNE INCONNUE vous procure, et cela aussi dès les premières images, la même émotion. On est comme happé par cet engrenage tragique qui se dissimule derrière des péripéties légères, du moins en apparence. Derrière les jeux, la frivolité, les apparences de convenances et des règles sociales, Ophüls nous fait entendre la valse des espoirs déçus, la lancinante ritournelle des trahisons petites et énormes. Les ravages que provoquent l’égoïsme, l’inconscience, les sincérités successives. Les personnages passent à coté du bonheur. Louis Jourdan étonnant de prestance nous fait sentir ses penchants velléitaires qui vont le ronger et le détruire. Admirable est la manière dont Ophüls comme dans MADAME DE… et le PLAISIR conduit le récit. J’ai vu le film dix fois et chaque fois, je suis cueilli par certaines péripéties, la manière dont on solde l’épidémie en une fin de scène qui vous cloue.
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