LIVRES
Commençons par parler de quelques livres et comme on n’est jamais mieux servi que par soi même, j’en profite pour dire tout le bien que je pense du HITCHCOCK, une vie d’ombre et de lumière de Patrick McGilligan, étude passionnante, fouillée, remarquable qui éclaire les rapports, le travail d’Hitchcock avec ses scénaristes, à commencer par sa femme Alma Reville, dont le rôle est capital (c’est elle qui eut l’idée du fort beau plan en hélicoptère de LA MAIN AU COLLET). McGilligan montre à quel point le cinéaste s’investit dans l’écriture des scénarios, comment il fait ré écrire par d’autres ce qui ne lui convient pas. J’ai appris beaucoup de choses notamment sur l’engagement politique du cinéaste avant et pendant la guerre qui contredit la légende d’un Hitchcock coupé du monde. Il lutte pour la démocratie, se bat contre une censure américaine qui prône jusqu’en 1942, l’isolationnisme. Il finance des enregistrements par des vedettes de commentaires de documentaires britanniques, réécrits pour le public américain, rompt son contrat avec Selznick pour tourner pour un salaire dérisoire AVENTURES MALGACHE qu’ont sorti les Editions Montparnasse. Le chapitre sur LIFEBOAT est tout à fait formidable. Revoir ce film magnifique d’intelligence, bourré d’allusions très audacieuses sur le syndicalisme, les camps de concentration, de scènes dont on n’a pas d’équivalent à l’époque (la mort du bébé, de la jeune mère, le lynchage du nazi, le rôle du noir) fut un des grands moments du week-end à l’Institut Lumière consacré à Hitchcock. Que ceux qui ne l’ont pas vu se ruent sur le très bon dvd français. Et revoient aussi le sublime NOTORIOUS, L’INCONNU DU NORD EXPRESS. L’une des grande force de l’auteur de FENETRE SUR COUR résidait dans son sens incroyablement aigu de la distribution des rôles comme le prouvent ses commentaires lors des essais de REBECCA. Talent qui fut parfois mis à mal par le conservatisme des studios (cf. LA LOI DU SILENCE. On découvre dans ce livre à quel point il a du lutter pour conquérir son autonomie). Il n’y a qu’Hitchcock pour se souvenir d’une actrice de théâtre anglaise et lui donner 15 ans après le rôle de la mère évanescente, timbrée de Robert Walker dans STRANGERS ON A TRAIN où elle se révèle stupéfiante de justesse, de vérité et, en même temps, vous glace le sang. Tout comme l’extraordinaire Madame Konstantin des ENCHAINÉS. Voilà qui contredit le cliché qui veut qu’Hitchcock considérait les acteurs comme du bétail. Le livre de McGilligan fourmille d’anecdotes qui prouvent le contraire.
Autre livre très excitant, celui de Michel Mourlet, l’un des fondateurs avec Pierre Rissient du macmahonnisme : L’ÉCRAN ÉBLOUISSANT (PUF). Mourlet y aborde des sujets très variés, dialogue avec un disciple de Lacan et s’ouvre à d’autres cinéastes dont Sautet, Tati. A lire le passage désopilant où il montre que la citation, placée en exergue au MÉPRIS et attribuée à Godard par Bazin, est en fait… de lui. Et citée de manière incompréhensible de surcroit.
Je dois aussi citer l’étonnante, l’incroyable ENCINÉCLOPÉDIE, volume 1 et 2, de Paul Vecchiali qui parle de TOUS les cinéastes français des années 30, en ayant vu et revu TOUS les films. Travail extraordinaire. Vecchiali refuse les rumeurs, démolit des légendes à coup de pioche. On peut évidemment contester des anathèmes trop péremptoires, des démolitions à la dynamite de certains Renoir et autres Pagnol. Une opinion n’est pas un fait. Ce qui compte ici, c’est l’amour du cinéma et du cinéma populaire qui irrigue le livre, la somme des faits et des connaissances. Et revoyez FEMMES, FEMMES.




J’avais oublié de mentionner plusieurs sorties de films exceptionnels notamment chez Gaumont. Tout d’abord le coffret Ophuls qui comprend trois chefs d’œuvre sublime que j’ai vu et revu : LA RONDE, LE PLAISIR, MADAME DE. Et aussi LOLA MONTES sur lequel je continue à faire des réserves malgré de nombreuses séquences fulgurantes (le cirque, bien sur, moment inouï de cinéma où la présence de Martine Carol fait corps avec les ambitions du film), Peter Ustinov, Anton Walbrook et Oskar Werner. Les restaurations sont somptueuses et Marcel Ophuls apporte un éclairage passionnant.
Saluons aussi la sortie longtemps attendue de LA POISON, un immense Guitry, noir, décapant et de UN CONDAMNÉ A MORT S’EST ÉCHAPPÉ, l’un des très grands Bresson avec PICKPOCKET, LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE, AU HASARD BALTHAZAR (sur le tournage duquel Anne Wiazemsky a écrit un livre très émouvant). Il faut acheter ces différents titres. J’avais été stupéfait d’apprendre que les premières ventes de UN CONDAMNÉ – œuvre jamais éditée en cassette – avaient été plutôt molles ce qui me paraît inconcevable et choquant. Ou alors il faut admettre une baisse de la passion cinéphilique, de la curiosité, un transfert de cette passion sur les cinéastes à la mode. Ou bien accepter le fait que nombre d’amateurs se contentent d’une cassette copiée lors du ciné-club de Claude Jean Philippe ou Patrick Brion et ne voient pas l’intérêt d’acquérir un magnifique dvd qui rend justice à la photo et à la bande son d’origine.
Dans la même collection Gaumont, j’ai vu le Blue Ray bien restauré du ROUGE ET LE NOIR et je dois confesser que je déteste ce film, sa mise en scène horriblement guindée, académique, aseptisée qui justifie – contrairement à la TRAVERSÉE DE PARIS, DOUCE, EN CAS DE MALHEUR, OCCUPE TOI D’AMÉLIE – les attaques de Truffaut et consort. Lara et Max Douy ne sont pas inspirés par la couleur. Tous les décors sont sur éclairés. La photo de Michel Kelber est d’une immense platitude. La comparaison avec des films anglais, américains tournés lors de la décennie précédente, prouve le retard, le manque d’inspiration des chefs opérateurs français. Ne parlons même pas de Powell, prenons un Basil Dearden (SARABAND FOR DEAD LOVERS), un Gordon Douglas comme la MAÎTRESSE DE FER qui placent leurs personnages dans le noir, savent utiliser les ombres. Dans ce dernier film, sorti par Warner Archives, on trouve un duel au couteau nocturne, dans une pièce dont les combattants ont soufflé les bougies. Douglas et John Seitz utilisent simplement la lueur des éclairs. On chercherait en vain une séquence aussi brillante, des recherches aussi réussies dans le film de Lara. Y a-t-il une belle photo couleur en France dans les années 50 en dehors de FRENCH CANCAN ?