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Bertrand Tavernier nous a quittés le 25 mars 2021. C’est avec une immense tristesse que nous publions donc ce dernier billet sur ce blog qu’il chérissait tant et pour lequel il ne manquait jamais d’idées et d’énergie, qu’il alimentait avec régularité et générosité depuis son lancement en mai 2005.

Nous vous remercions pour votre fidélité et votre engagement sur cet espace dont il modérait lui-même les très nombreux commentaires pour laisser libre cours à de passionnantes et passionnées discussions, avec vous toutes et tous, habitué(e)s et cinéphiles curieux/ses.

Pour saluer sa mémoire, nous vous invitons à lire sur le site de la SACD les hommages que lui rendent plusieurs autrices et auteurs qui l’ont côtoyé  : https://bit.ly/2Pwu0H5

Et à lire ci-dessous son dernier billet. Il nous avait demandé de le publier maintenant. Nous respectons sa volonté. Et nous modèrerons les commentaires à sa place.

[mise à jour du 02 avril ] Merci à tous pour vos messages en commentaires. Vous êtes nombreux à vous inquiéter de la pérennité de ce blog. Rassurez-vous, il est pour nous inenvisageable que cette somme de savoir et de partage cesse de vous être accessible. Nous réfléchissons à tous les moyens d’en conserver le contenu, de le mettre à disposition et de le faire perdurer pour les lecteurs.

Amicalement,

L’équipe du blog

 

LIVRES

CHÈRE JODIE de Clovis Goux
J’avais loué ici du même auteur LA DISPARITION DE KAREN CARPENTER que m’avait fait découvrir Bertrand Burgalat. Karen et son frère Richard avaient accumulé les tubes avec des chansons réactionnaires, vendant plus de 100 millions de disques. Mais derrière ce succès, se cachait une tragédie que Clovis Goux nous révélait avec un grand talent, autopsiant le monde du show business. Il récidive avec l’extraordinaire CHÈRE JODIE, l’incroyable histoire de John Hinckley Jr, fils à papa grassouillet qui se gave de junk food (ce qu’il mange fait dresser les cheveux sur la tête) et développe une passion pour Jodie Foster, collectionnant ses photos, ses interviews, voyant une dizaine de fois chacun de ses films. Il l’a découverte dans TAXI DRIVER et s’identifie au chauffeur de taxi justicier, Travis Bickle incarné par Robert de Niro. Sauf qu’il est aussi mou, aussi maladroit que Bikle est précis et efficace. Sa mère lui passe tous ses caprices, ignore toutes les règles que tente d’instaurer son mari, souvent absent. Ce jeune homme très gras, très blanc, qui ressemble selon ses dires à un muffin, rêve de devenir une rock star comme son idole John Lennon (sauf qu’il admire aussi Hitler) alors qu’il est totalement dépourvu de talent. Quand ce dernier est assassiné, Hinckley, exaspéré par les silences de Jodie décide de tirer sur le Président Reagan et le ratera. Déclaré irresponsable, il sera enfermé dans un asile jusqu’en 2016. Clovis Goux nous révèle les dessous les plus noirs, les plus glauques de l’Amérique, une Amérique sans conscience ni repère, l’Amérique du mal. Il entrecoupe son récit à l’écriture dense de chapitres brefs et effrayants consacrés à divers tueurs en série qui commettent des meurtres aussi gratuits qu’atroces. Passionnant et terrifiant.

J’ai déjà loué AVENTURES de John Boorman (Marest) et j’en ai profité pour revoir LE POINT DE NON RETOUR, toujours aussi flamboyant avec une utilisation des couleurs et de l’espace qui me laissent hyper admiratifs et LA FORÊT D’ÉMERAUDE dont l’audace, l’invention visuelle laissent pantois. Et aussi le regard porté sur les indigènes si différent de celui qu’on trouve dans de multiples films américains, à commencer par l’utilisation des langues. Léger bémol, Powers Boothe mérite à deux ou trois reprises les reproches que décerne Pascal Minette à Mason. Il a tendance à surexpliquer et forcer son jeu, ce qui affaiblit le personnage, le rend trop visiblement antipathique alors que Charley Boorman est confondant de grâce, de naturel. La conclusion de ce film si en avance (l’utilisation des drogues hallucinogènes héritées de celles qu’on voit dans le film pour guérir, réveiller les souvenirs, fleurit maintenant de manière microdosée à Hollywood).

   

Essayez, s’il vous plait (je m’adresse en premier à Ballantrae mais les autres doivent suivre) de découvrir Gabrielle Roy, cette romancière du Manitoba dont il FAUT lire : LA DÉTRESSE ET L’ENCHANTEMENT et FRAGILES LUMIÈRES DE LA TERRE qui contient une série de descriptions chaleureuses et incisives sur les différentes sectes, ethnies qui sont venues se réfugier au Manitoba et au Canada : les Mennonites, les Huttérites, les Ukrainiens, les deux recueils de nouvelles qui contiennent des trésors : LA ROUTE D’ALTAMONT, UN JARDIN AU BOUT DU MONDE. BONHEUR D’OCCASION, LA PETITE POULE D’EAU sont des romans forts, lyriques. Le second retrace avec émotion le sort des Canadiens venus se battre en France en 1917. Deux citations : « Ce bruit de soupir, d’inquiétudes que fait le temps qui passe » et « La mort du présent n’est rien ; c’est la perte de l’avenir en soi qui est déchirante ». Du Manitoba où elle fut institutrice (lire CES ENFANTS DE MA VIE), elle écrivait que l’espace et le ciel sont si immenses que la vue d’un oiseau peut vous briser le coeur : https://citations.ouest-france.fr/citation-gabrielle-roy/mort-present-rien-perte-avenir-18751.html

 

Disparition de Michel Le Bris dont j’avais loué plusieurs fois le merveilleux KONG et son dernier essai POUR L’AMOUR DES LIVRES, si utile, si revigorant en ces temps d’ignorance et de dictature du présent. Ne pas oublier que Le Bris parvint à rétablir le texte original de très nombreux ouvrages de Robert Louis Stevenson, qu’il publia ses essais magnifiques, sa correspondance avec Henry James, deux recueils de nouvelles et qu’il nous fit connaître MOONFLEET, le roman qui inspira à Lange LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET, adapté avec une désinvolture étonnante. Jeremy Fox n’existe pratiquement pas dans le livre. On doit aussi à Michel le festival Étonnants Voyageurs que je ne manquais pour rien au monde. C’était un ami cher qui laisse un vide immense.

Je relis avec beaucoup de plaisir les romans de Donald Westlake, le cinglant KAWA, HISTOIRE D’ESCROQUERIE CHEZ AMIN DADA, PIERRE QUI ROULE devenu au cinéma THE HOT ROCK, DÉGÂTS DES EAUX… Et ceux d’Elmore Leonard au dialogue si inventif, si incisif et si cocasse : INCONNU 89 et ZIG ZAG MOVIE sont de petites merveilles. Westlake écrivit l’une des meilleures adaptations de Jim Thompson, LES ARNAQUEURS si bien filmé par Stephen Frears et dans les bonus, il déclare que le premier film qui sut saisir l’âme de Thompson était le (je m’excuse) génial COUP DE TORCHON et cette âme était gallique (gauloise ?).

Relu aussi une des trilogies de Manuel Vasquez Montalban (le Seuil – 3 romans MEURTRE AU COMITÉ CENTRAL, TATOUAGES, LES MERS DU SUD) avec le détective gastronome (ses recette font saliver) Pepe Carvalho, ex-trotskiste anarchiste, ayant un moment travaillé avec la CIA, qui brûle les livres de sa bibliothèque en se confrontant aux problèmes sociaux et politiques de l’Espagne post-franquiste.

CINÉMA

Je voudrais commencer par dire tout le bien que je pense du TEMPS DES NABABS de Florence Strauss sur les producteurs français d’avant la télévision, de son père Jacques Eric, lié aux frères Hakim, d’Alexandre Mnouchkine à Serge Silberman en passant par Raymond Danon et Albina du Bois Rouvray. Il faut entendre Jean-Claude Carrière (j’en profite pour le saluer) parler des producteurs avec une verve éblouissante, racontant comment Deutchmeister (LA TRAVERSÉE DE PARIS, LE ROUGE ET LE NOIR) après lui avoir demandé de lire l’adaptation de ROBINSON CRUSOË qu’il lui avait commandé (il faisait partie des producteur qui exigeait qu’on leur lise) le questionne anxieusement : « Mais Jean-Claude, vous ne trouvez pas que Robinson, il est un peu seul ». Et quand Jean-Claude lui objectait qu’une de ses suggestions n’était pas cartésienne, lançait tout de go : « Cartès ? Qui connaît Cartès aujourd’hui ? » Il trace un portrait haut en couleur de Serge Silberman, producteur de tous les Buñuel postérieurs au JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE, qui vont de BELLE DE JOUR, des CHARMES DISCRETS DE LA BOURGEOISIE à la VOIE LACTÉE en passant par TRISTANA et LE FANTÔME DE LA LIBERTÉ. Toutes ses œuvres qui continuent un manifeste de Défense de la liberté. Claude Piéplu vient soudainement interrompre la narration en nous présentant un sous officier : « le Sergent a une rêve très intéressant à vous raconter » et hop, on coupe sur le rêve. L’entendre évoquer comment sont nés ces chefs d’œuvre est un régal. L’évocation de Mnouchkine, jamais plus heureux que quant il y avait des problèmes à résoudre dans l’urgence, si loyal dans ses rapports avec ses metteurs en scène, de Christian Jaque à Philippe de Broca, est des plus émouvantes et j’ai même appris des détails passionnants sur la vie de Raymond Danon qui a un peu tendance à zapper ceux qui lui apportent des projets comme Girard et Jean Bolvary qui sont allés le trouver avec le package Sautet, Dabadie, Guimard pour les CHOSES DE LA VIE et MAX ET LES FERRAILLEURS. Mais il évoque de manière touchante le lien d’amitié qui l’unissait à Romy Schneider, produisant la PASSANTE DU SANS SOUCI sans l’assurer.

HUSTON
Dans les films de John Huston, j’avais oublié de mentionner L’HONNEUR DES PRIZZI qu’adorait Jean-Pierre Melville, œuvre colérique s’en prenant de front à la mythologie élaborée autour de la Mafia, décrite ici comme un monde où triomphe la corruption, le machisme, le mensonge, la vulgarité la plus crasse. Tout ce que selon certains intervenants dans ce blog, on accole sous des dehors luxueux aux films de Coppola. A mon avis Huston s’en prend surtout au premier volet. Mais je passais aussi sous silence les recherches formelles de MOULIN ROUGE, revu dans une copie restaurée, qui restent éblouissantes. La photo géniale d’Oswald Morris a trente ans d’avance sur celle des films français contemporains, notamment dans l’utilisation des sources de lumière, des zones d’ombre. Et en regard des autres biographies de l’époque, le film de Huston reste d’une dureté de ton confondante.

COMÉDIES MUSICALES
J’ai revu récemment un certain nombre de comédies musicales dont GIVE A GIRL A BREAK, qui est un pur délice. Partant d’un argument ultra classique (3 candidates désirent le même rôle), Stanley Donen dont c’est la première mise en scène en solo, respecte en apparence ce classicisme tout en le renouvelant de l’intérieur par le biais d’une chorégraphie moderne, intimiste, généralement des numéros à deux, le plus souvent sur une musique jazzy, dont le chef d’œuvre est sans doute la merveilleuse danse sur une terrasse entre Bob Fosse et Debbie Reynolds qui jette toutes les bases du musical moderne. Le premier numéro de Marge et Gower Champion est tout aussi euphorisant et les pitreries de Kurt Kaznar sont amusantes Voilà une œuvre revigorante, stimulante.

KISS ME KATE est l’une des très rares comédies musicales qui lors de son adaptation au cinéma ait conservé toutes les chansons écrites par Cole Porter et qui sont toutes des merveilles tant en ce qui concerne la partition très variée, très inventive que les lyrics. Il s’agit là de variations très astucieuses autour d’une représentation de la MÉGÈRE APPRIVOISÉE dont les comédiens reproduisent quand ils la jouent sur scène, les quiproquos, les disputes, les ruptures de la pièce originale dans une astucieuse construction gigogne. Quelques lyrics ont été expurgés dans le film (allusion au Kinsey Report) étant donné la pruderie de la MGM et de la Censure. Plusieurs sont devenues des standards de jazz (je pense à « So In Love » par Milt Jackson). L’une des plus savoureuses est sans conteste « Brush up your Shakespeare », variation hilarante sur les titres, les vers des pièces shakespeariennes chantées par James Whitmore et Keennan Wynn qui jouent les deux mafiosi en charge de récupérer l’argent que doit le promoteur de la pièce. George Sidney a même rajouté un titre qui avait été coupé à Broadway, la version du très rythmé « Too Darn Hot » superbement chantée par Ann Miller. Tous les numéros avec Miller sont exceptionnels qu’elle danse avec Tommy Rall ou dans « Tom Dick and Harry », autre triomphe jazzistique de Porter avec Bobby Van, Rall et Fosse. Même si Hermes Pan est crédité pour la danse très sensuelle entre Carol Haney et Bob Fosse sur « From This Moment On », elle fut en fait chorégraphiée par Fosse qui exécute un incroyable salto arrière. C’est à partir de ce film qu’on le remarqua. Les costumes sont parfois submergées par une surabondance de couleurs kitsch mais les décors, souvent très beaux, évoquent les toiles de Chirico. Leur quasi abstraction met en valeur les prouesses chorégraphique de Tommy Rall, Bob Fosse.

Je n’avais jamais vu THE KING AND I, l’une des comédies musicales favorites de Jane Birkin, étant un peu refroidi par les mises en scène impersonnelles de Walter Lang. Mais là, il bénéficie d’une chorégraphie de Jérôme Robbins et de l’apport considérable du chef opérateur Leon Shamroy qui transforme chaque tableau en un univers monochrome extrêmement plaisant. Déborah Kerr est délicieuse et Yul Brynner tout à fait plaisant en monarque tyrannique cherchant à s’occidentaliser.

Le sujet et les dialogues de THE AFFAIR OF DOBBIE GILLIS de Don Weis ne volent pas très haut, recyclant avec lourdeur un grand nombre de clichés qui donnent une image assez consternante de l’Université et de ce que l’on y enseigne. Mais le film est sauvé par ses interprètes qui tous, Bobby Van, Bob Fosse, Debbie Reynolds, débordent d’énergie et d’invention. On y entend plusieurs fois « All I Do is Dream of you » qu’on entendait dans CHANTON SOUS LA PLUIE et qui est repris dans une version délicieuse, sur un tempo de ballade par Bobby Van, la révélation du film qui le chante avec Debbie Reynolds tout en jouant de l’ukulélé dans un canoë. Cette composition d’Arthur Freed et Nacio Herb Brown est chantée plusieurs fois tout au long de l’histoire. Bobby Van triomphe dans « I am thru with Love ». Tout compte fait une plaisante surprise si on oublie le sujet.

J’ai enfin pu revoir en zone 1 LES AVENTURES DE HADJI BABA, toujours de Don Weis, un de ces contes orientaux dont raffolait le producteur Walter Wanger (« tits and sand »). Avec le scénariste Richard Collins, un des tenant de la ligne la plus dure, la plus dogmatique dans le Parti Communiste Américain (il sermonna violemment Albert Maltz et Polonsky entre autres) avant de devenir un mouchard, ils conçoivent un scénario détendu, moqueur (tongue in cheek) qui faillit devenir un projet de George Cukor. On retrouve au générique deux des concepteurs visuels les plus importants d’UNE ETOILE EST NÉE et de l’œuvre de Cukor en général, Gene Allen et George Hoyningen-Huene que l’on doit davantage créditer du raffinement visuel du film que le chef opérateur très ordinaire qu’est Harold Lipstein. Le pré-générique de la VF dont nous connaissions les dialogues par cœur se terminaient par : « J’exerce peut être le métier de barbier mais j’ai les désirs d’un prince » avant que d’enchainer sur une « complainte perse » (sic) chantée par Nat King Cole sur une musique de Dimitri Tiomkin que nous connaissions aussi par cœur. Ceci à l’attention de Pascal Minette. La version originale fut réclamée pendant des années sur le cahier du studio Parnasse par les néo-macmahonniens et Jean-Louis Cheray finit par écrire : « Cessez vos gamineries. » Le film ne manque pas de charme surtout quand il oppose Elaine Stewart, princesse capricieuse et gâtée et cruelle et John Derek plus à l’aise avec ce personnage en carton pâte qu’en héros de Nicholas Ray. Leurs affrontements qui se transforment en scène d’amour quand ils sont attachés par les Amazones ne manque ni de piquant, ni d’audace. Par ailleurs, Richard Collins écrivit le scénario des RÉVOLTÉS DE LA CELLULE 11 inspiré par la peine de prison que dut subir Wanger pour avoir tiré sur l’amant de Joan Bennett, Jennings Lang, futur dirigeant d’Universal qui finança MADIGAN, PLAY MISTY FOR ME, WILLIE BOY, LES PROIES, CHARLEY WARRICK, AIRPORT et plusieurs films catastrophe que vient de ressortir Sidonis en Blu-ray.

FILMS ITALIENS

Artus vient de sortir dans une copie magnifiquement restaurée, LES CENT CAVALIERS de mon grand ami Vittorio Cottafavi et cette nouvelle vision m’a comblée. Cette épopée prosaïque, aux multiples changements de ton, se déroule pendant l’An Mil et oppose les Maures, les Chrétiens et chez ces derniers, les propriétaires la plupart avides et impitoyables, les paysans, les brigands, les femmes. Quelle splendide utilisation de l’espace, des couleurs avec le bleu des Maures tranchant sur les costumes bigarrés des Chrétiens. Quelle originalité dans le ton adopté où l’on sent en effet l’influence de Brecht lors de la scène d’ouverture où un peintre qui termine une fresque interpelle un interlocuteur invisible, le public. Le procédé est repris de manière drolatique dans la conclusion. Deux moments coupés dans les copies précédentes. Je n’avais jamais oublié un plan où l’on voyait s’approcher un cavalier suivi peut-être de deux ou trois autres. Tout à coup, il se déployaient en une ligne horizontale et on découvrait qu’ils étaient beaucoup plus nombreux, effet saisissant. La mémoire jouant parfois des tours, je pensais qu’il s’agissait des cavaliers Maures mais c’étaient en fait les Chrétiens. Extraordinaire séquence de bataille qui vire au noir et blanc pour que l’on identifie moins les camps respectifs (sur le net un crétin pense que c’est une erreur technique ou dû au faible budget, deux contresens). Les protagonistes meurent dans l’anonymat comme dans Shakespeare et l’on s’attarde seulement sur la mort des deux chefs : le sheikh qui marche en sentant la mort l’envahir, plan sublime ; Arnoldo Foa, le père du héros qui se relève en demandant si on a gagné, trouve qu’il fait sombre et dit « Mais je meurs, je meurs », passage que que j’ai revu trois fois de suite. Bon bonus de François de la Bretèque surtout quand il analyse le contexte historique de l’époque et la vision qu’en a Cottafavi. Plus discutable quand il met dans le même sac Freda, Bava et Cottafavi. Ce dernier voulait faire des films néoréalistes mais fut exclu du mouvement du fait que la FLAMME QUI NE S’ÉTEINT PAS exaltait le courage d’un carabinier. C’était un fait authentique que 60 ou 70 critiques bornés, staliniens refusèrent de prendre en compte alors que Cottafavi était plutôt marxiste modéré et pour vivre il dut se rabattre sur le mélodrame et le film de cape et d’épée avec de vraies réussites signalées dans ce blog : FILLE D’AMOUR (en VO chez René Château), MILADY ET LES MOUSQUETAIRES. Freda au contraire haïssait le néoréalisme et ne voulait se plonger que dans le film d’aventures ou le mélodrame. Bava lui débuta quand il n’était plus question du néoréalisme. D’autre part, de la Bretèque oublie qu’avant moi, Truffaut défendit FILLE D’AMOUR, que contrairement à ce qu’il dit les Cahiers publièrent un éloge des LÉGIONS DE CLÉOPÂTRE et que le rôle des néo-macmahonniens, Lourcelles, Mourlet a été prépondérant. La première revue à se passionner pour Cottafavi est Présence du cinéma avec le célèbre article Du côté de Racine.

Parmi les grands cinéastes italiens, Alberto Lattuada est l’un des plus méconnus. On devrait ajouter une méconnaissance à éclipse car durant les années 50 plusieurs de ses réalisations furent louées par la critique, je pense à SANS PITIÉ, invisible depuis longtemps, au BANDIT qui a été heureusement réédité où néoréalisme et film noir coexistaient dans un mélange assez détonant. J’avais ici même défendu MAFIOSO, chef d’œuvre décapant traité dans un style dépouillé, sec, sans éclats lyriques (on pense à un conte moral du XVIIIème) sur les pratiques de la Mafia qui transbahute un contremaitre sicilien travaillant dans le Nord, lors de ses vacances en Sicile, en Amérique pour commettre un crime dont on ne peut le soupçonner. Une des plus grands rôles de Sordi que Tamasa eut la bonne idée de sortir. Ils ajoutent maintenant VENEZ DONC PRENDRE LE CAFÉ… CHEZ NOUS ! Comme l’écrit Philippe Paul sur DVDClassik : « Pour ce film, Lattuada s’inspire d’un roman de Piero Chiara, La Spartizione – Le Trigame en version française – dont il transporte le récit des années 30 aux années 70. VENEZ DONC PRENDRE LE CAFÉ… CHEZ NOUS ! suit le destin d’un petit fonctionnaire un peu falot, Emerenziano Paronzini, qui, encouragé par les valeurs patriarcales de l’Italie de l’époque et par son statut de petit bourgeois, va entreprendre de séduire une des sœurs Tettamanzi, trois vieilles filles enfermées dans leurs frustrations par les barrières morales imposées par la religion et la société. Son plan va fonctionner au-delà de ses espérances puisque les trois femmes deviendront ses amantes, satisfaisant plus que largement à ses besoins qu’il définissait en début de film, les « trois C : caresses, chaleur, commodité. » Crédité à Adriano Baracco, Tullio Kezich ainsi qu’à Alberto Lattuada et au romancier Pietro Chiara lui-même, le scénario se focalise sur l’argument principal du récit, en se détachant presque totalement de toute autre considération sociale ou politique, produisant ainsi un film déconnecté de la réalité italienne de l’époque, hormis évidemment pour la question morale de la sexualité et de la polygamie inhérente au sujet. » La sexualité a toujours été l’un des grands sujets abordés par Lattuada jusque dans son sketch amusant mais un peu facile d’AMORE IN CITA, des ITALIENS SE RETOURNENT en passant par LA NOVICE que j’aimerais revoir. L’autre versant de l’oeuvre de Lattuada est imprégnée de l’influence, de l’admiration pour la littérature russe : LA STEPPE, CŒUR DE CHIEN, LA FILLE DU CAPITAINE.

LES ADOLESCENTES reste un chef d’œuvre de sensibilité, d’intelligence. Point de romantisme ni d’effusion mais un ton précis à fleur de peau que l’on dirait sorti d’une nouvelle du XVIIIème pour évoquer la journée où la délicieuse Catherine Spaak va perdre sa virginité. Belle musique de Piero Piccioni. Je n’ai jamais oublié les sifflements qu’on entend quand la voiture de Christian Marquand longe les barrières, les poteaux jalonnant l’autoroute.

CARLO LIZZANI
Je viens de découvrir un film qui m’a enchanté, ému et qui devrait vous passionner. Il s’agit de CELLULOID, traduit en français par « REMAKE » ROME VILLE OUVERTE, titre idiot. Il s’agit d’un film de fiction sur les aléas insensés du tournage de ROME VILLE OUVERTE avec les rapports passionnés et orageux entre Rossellini et son volcanique scénariste Sergio Amidei qui fulmine et claque la porte à la moindre apparence de concession. Je ne savais pas que le film après avoir subi l’arrogance des producteurs, des distributeurs, avait été si honteusement traité par la critique lors de sa sortie en Italie et qu’il avait été sauvé par la sortie à New York et à Paris. C’est un film de Carlo Lizzani que j’ai voulu voir après avoir découvert ACHTUNG BANDITI, l’un de ses premiers, peut-être le meilleur film de partisans, une chronique sans héros, sans personnage principal (l’équivalent français serait le méconnu JERICHO de Henri Calf) avec des plans généraux d’une beauté à couper la souffle. On voit des foules manifester dans la plaine, affronter la police et c’est filmé avec une ampleur incroyable. Le propos complexe montre divers types de collaboration et de résistance avec des personnages troubles pris entre les maquisards et les allemands Deux films à découvrir et à faire connaitre aux étudiants de cinéma.
LA CHRONIQUE DES PAUVRES AMANTS est une émouvante chronique unanimiste sur la manière dont un quartier de Florence bascule peu à peu dans le fascisme.

FILMS ANGLAIS

LA MER CRUELLE me plait toujours autant à chaque vision. Il s’agit à coup sûr du chef d’œuvre de Charles Fren, réalisateur attentif, consciencieux, humaniste. Là, il se montre inspiré par le beau scénario d’Eric Ambler (LA FLAMME POURPRE) d’après le roman très autobiographique de Nicholas Monsarrat.   

PINK STRING AND SEALING WAX : splendide étude criminelle de Robert Hamer, un des films les plus radicaux et violents jamais tournés à cette époque en Angleterre. Sur les rapports parents-enfants, maris et femmes. Sur l’absence de droits des femmes, les violences conjugales, Goggie Withers, l’actrice fétiche du réalisateur qui la dirigea dans le remarquable IL PLEUT TOUJOURS LE DIMANCHE, est extraordinaire notamment quand Hamer la filme dans un très long gros plan. Seul léger bémol : le studio imposé par Balcon qui dénature parfois le son (Dvd Optimum). Il faut le sortir ainsi que THE SPIDER AND THE FLY et THE LONG MEMORY.

Revu avec plaisir COMMANDO POUR UN HOMME SEUL d’Etienne Périer (Rimini), transcription française idiote de WHEN 8 BELLS TOLL : un commando composé d’un seul homme ou qui ne doit s’occuper que d’un seul homme ne paraît guère prometteur en termes d’action. De plus, les trois-quarts de ses films français m’ont paru ternes, alourdis par des scénarios de whodunit ineptes : on peut éviter MEURTRE EN 45 TOURS, en dépit de Darrieux, et UN MEURTRE EST UN MEURTRE. Dans mon souvenir, je sauverai UN JOLI PETIT VILLAGE où Carmet était excellent. Ce COMMANDO écrit par Alistair McLean (LES CANONS DE NAVARONE, QUAND LES AIGLES ATTAQUENT, ICE STATION ZEBRA, BREAKHEART PASS qui devint l’intéressant et violent LE SOLITAIRE DE FORT HUMBOLDT de Tom Gries avec Bronson) d’après son roman est donc une plaisante surprise, bénéficiant de beaux extérieurs écossais, de la présence d’Anthony Hopkins que j’ai rarement vu aussi jeune. Il dégage un charme fou et trouve en Robert Morley, chef de l’espionnage obsédé par la bouffe. un partenaire de choix. Selon Jean Claude Missiaen, LE MERCENAIRE et LE PONT VERS LE SOLEIL sont deux réussites parmi lesquelles on ne peut pas compter ZEPPELIN. Etienne Perier qui fut le conseiller technique de Cocteau (!!!) pour LE TESTAMENT D’ORPHÉE, était un des fondateurs de Plan film qui a produit et/ou distribué ses films mais aussi L’INVITATION de Claude Goretta (à revoir absolument), ATLANTIC CITY de Louis Malle, COUP DE TORCHON, distribué LA MORT EN DIRECT et DADDY NOSTALGIE.

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Jan
29

J’ai trouvé MIRACLE EN ALABAMA (THE MIRACLE WORKER) bouleversant. Ce corps à corps entre une institutrice elle même handicapée et une gamine sourde et quasi muette que ses parents surprotègent, affrontement aussi physique que mental, est à coup sur le chef d’œuvre d’Arthur Penn avec GEORGIA (FOUR FRIENDS) auquel l’Avant-scène cinéma consacre un numéro avec des interviews de tous les acteurs, effectués par Antoine Sire. On sort de MIRACLE rompu, exténué, notamment après le très long plan séquence dans la salle à manger. Se battre contre les préjugés paraît presque plus difficile que de triompher de la maladie comme le prouvent les combats récents contre le Covid aux USA où rien ne semble avoir changé depuis l’époque d’Helen Keller. Excellent bonus de Fred Mercier.

FILMS NOIRS

STRANGER ON THE PROWL (Olive, zone 1 sans sous-titres) était sorti en France sous le titre UN HOMME À DETRUIRE et signé Andrea Forzano. Il avait été tourné en Italie par Joseph Losey pendant qu’il était sur la liste noire, produit par une petite société créée par diverses personnalités progressistes, Ben et Norma Barzman, Bernard Vorhaus et le scénario était écrit par Ben Barzman (TEMPS SANS PITIÉ, LE CID) d’après une histoire de Noël Calef. Le scénario patine parfois, l’affrontement final paraît trop étiré pour une issue prévisible et certains rebondissements trop fabriqués renvoient à ces films noirs français qui semblent solliciter le Destin. Mais la mise en scène vigoureuse fait preuve d’une vitalité, d’une énergie qui rattrape ces manques, Losey utilisant admirablement les très nombreux extérieurs et dirigeant aussi bien le jeune garçon que Dean Stockwell dans LE PETITE GARCON AUX CHEVEUX VERTS. Visuellement, STRANGER paraît davantage en osmose avec tout un courant néo-réaliste (on pense souvent à De Santis, à Germi) qu’avec le film noir américain

Dans les grandes réussites de Richard Fleischer, LE GÉNIE DU MAL (Rimini) d’après le beau livre de Meyer Levin, est plus rarement cité que l’implacable ÉTRANGLEUR DE RILLINGTON PLACE ou le très brillant et humaniste ÉTRANGLEUR DE BOSTON. Il est pourtant tout aussi passionnant tant dans sa description des années 20 qui montre l’errance criminelle, de deux fils de famille dévoyés, arrogants (mieux décrits que dans THE ROPE) qui croient avoir compris Nietzsche (Dean Stockwell est particulièrement exceptionnel) que dans les séquences de procès, mises en scène avec une élégance, une clarté, une limpidité assez incroyables. Welles, dans le rôle de l’avocat Clarence Darrow, défenseur des syndicalistes et des ouvriers grévistes, baptisé ici Jonathan Wilm,, fait la composition d’acteur la plus retenue, la plus sobre, la plus intériorisée de toute sa carrière. Il parle doucement, sans achever toutes les phrases, comme à la limite de l’épuisement. Dans ses mémoires Fleischer écrit qu’il dut se bagarrer pour l’obliger à descendre, à se contenir. Dans le bonus du film, il parle d’un gros différend et ensuite d’une entente. J’ai rarement vu Welles aussi sobre et aussi contenu et sa plaidoirie est tout bonnement sublime d’humanité. Diane Varsi est extrêmement touchante et EG Marshall, remarquable, en procureur. Là encore très bons bonus.
A noter que Darrow est incarné par Spencer Tracy dans PROCÈS DE SINGE de Stanley Kramer où il défend contre des fondamentalistes chrétiens, un professeur qui a osé évoquer Darwin La longue scène qui l’oppose à Fredric March devrait être projetée dans toutes écoles.

A cette trilogie essentielle, on peut ajouter LA FILLE SUR LA BALANÇOIRE (Rimini) qui se situe pratiquement au même niveau et Farley Granger dont c’est un des meilleurs rôles après LES AMANTS DE LA NUIT, est le cousin des deux jeunes criminels de COMPULSION. Même arrogance de caste, même jalousie morbide, même perversité qui fait froid dans le dos à quoi on peut ajouter une haine des femmes. Dans ce quasi chef d’œuvre, si bien éclairé et décoré, on ne peut que regretter un décor de montagne en studio. Tout le reste est parfait.

FALLEN ANGELS (Elephant) fut une série télévisée qui, hélas, ne dura que deux saisons, consacrée au film noir, initiée par William Hornberg et coproduite par Sydney Pollack. Les épisodes de 25 minutes étaient tournés comme des films, avec des recherches esthétiques sophistiquées parfois un peu voyantes : travail très poussé sur les couleurs, chefs opérateurs prestigieux, décors stylisés, thème musical d’Elmer et Peter Bernstein Beaucoup de scénarios adaptent des auteurs prestigieux : ainsi Tom Hanks filme plutôt bien une nouvelle typique de l’humanité de Raymond Chandler et Tom Cruise, eh oui, affronte très honorablement un court récit fulgurant qui reprend les thématiques chères à Jim Thompson. Steven Soderbergh signe deux épisodes glaçants et contrôlés de main de maître, tandis qu’Alphonso Cuaron, déniché par Pollack, fait des débuts fracassants en dirigeant de main de maître une Laura Dern bouleversante. Dans un autre épisode, les fans de Chandler découvriront, pour la première et dernière fois, un Philip Marlowe noir incarné par Danny Glover dans un épisode malheureusement trop étiré. L’adaptation de Mickey Spillane par John Dalh m’a semblé fabriquée comme ses précédents opus et d’un nihilisme éprouvant.

Dans ses films criminels, même à travers leurs différences, Henry Hathaway impose une vision, une approche personnelles : narration dépouillée, concise, refus du sentimentalisme, quasi absence de musique aussi bien dans THE DARK CORNER que dans 14 HEURES ou dans APPELEZ NORD 777. Dans LE CARREFOUR DE LA MORT, elle est réduite à la portion congrue si on la compare avec celle de Steiner pour LE GRAND SOMMEIL ou de LA CITÉ SANS VOILES. Chaque fois qu’il le peut, Hathaway arrête une scène avant sa vraie fin, s’arrange pour ne pas souligner le moment d’émotion. Il opte pour une dramaturgie sèche, claire, retenue que soulignait James Agee. Pensez par exemple à la séquence exemplaire du CARREFOUR où Mature dans un atelier de la prison, fait demander des nouvelles de sa femme et découvre qu’elle est morte. Durant l‘échange le plus important, le dialogue est filmé de loin et ni Mature ni le spectateur ne l’entendent. Dans APPELEZ NORD 777, Stewart vient annoncer à la vieille femme de ménage que le journal ne la soutient plus. Hathaway non seulement évite les gros plans mais s’arrange, quand Stewart quitte la pièce, pour que les deux personnages se cachent l’un l’autre de manière à ce qu’on ne voie pas en plan rapproché que la vieille femme craque. On trouve cent exemples similaires.
LE CARREFOUR DE LA MORT est un film noir relativement classique où le tournage en décors naturels est moins payant que dans APPELEZ NORD 777 et THE DARK CORNER, sauf pour l’arrivée à Sing Sing et certains moments dans la prison. Même le hold up dans l’immeuble Chrysler, filmé avec une concision exemplaire, aurait pu être tourné en studio. Ce qui n’est pas le cas du film avec Stewart. En revanche, on remarque quelques idées surprenantes notamment cette voix off mystérieuse dite par une femme (fait assez rare dans un genre où ce sont des protagonistes masculins qui parlent, protagonistes ou narrateur) qu’on mettra du temps à identifier et cela donne une couleur insolite au récit. Comme le remarque Jean-Loup Bourget, la dernière intervention de cette femme (Coleen Gray, épatante de sobriété) parait contredire ce que nous venons de voir, effet quasi fantastique.
En revoyant APPELEZ NORD 777, outre la magistrale utilisation des extérieurs et la splendide photo de Joe MacDonald, le grand complice de Hathaway, j’ai été frappé par la sophistication, l’intelligence du récit qui offre plusieurs niveaux de lecture. Contrairement à ce que je vois écrit ici et là, Stewart met beaucoup de temps avant de se convaincre de l’innocence de l’homme qu’il est censé disculper et son incrédulité le pousse à adopter une attitude qui ressemble à celle des producteurs : tablez sur le côté humain, mettez en avant l’émotion quitte à la fabriquer, à la manipuler, pour conquérir les lecteurs. Bref le contraire de la mise en scène d’Hathaway qui s’accroche aux faits, au réel. En fait, le journaliste exploite le fait divers, la famille pour faire du pognon et le film regarde d’un œil critique cette approche hollywoodienne. Quand Richard Conte met fin à l’accord qui le lie avec le journal, le propos bascule et Stewart se retrouve synchrone avec la mise en scène de Hathaway.

JOHNNY APPOLLO (zone 1 sous-titres français) est une autre réussite souvent oubliée, occultée, de Hathaway. Peut être parce que le scénario co-signé par Rowland Brown paraît plus classique. Il contient pourtant un bon nombre d’éléments surprenants, traités avec ce dépouillement dégraissé qui est la marque d’Hathaway, tournant le dos à la complaisance comme au lyrisme. Une fois de plus, il met en valeur le personnage féminin et Dorothy Lamour, merveilleusement dirigée, trouve sans doute là son meilleur rôle. Edward Arnold et Lloyd Nolan, gangster sadique, impitoyable sont particulièrement bien mis en valeur et Tyrone Power est plutôt convaincant. Belle photo. A redécouvrir de même que THE DARK CORNER, peut être le meilleur de la série qui bénéficie d’un dialogue percutant, et donne un de ses premiers rôles dramatiques à Lucille Ball, remarquable en secrétaire qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Composition mémorable de William Bendix qui, lui aussi, s’en prend à une gamine, ce que l’on retrouve dans de nombreux Hathaway. Je renvoie au texte de 50 ANS de Cinéma américain.

Il faut aussi signaler le remake de KISS OF DEATH, assez brillamment réalisé par Barbet Schroeder. Le scénario de Richard Price introduit plusieurs sous-intrigues, une masse de coups tordus, de trahisons, notamment entre les différentes polices, fédérales, d’état, élimine la veille dame qu’on projette dans l’escalier pour mettre l’accent sur la manière dont la justice manipule, exploite les indics. On a doit à une galerie de truands dont certains paraissent semi-débiles et donc d’autant plus dangereux. Nicolas Cage reprend, choix courageux, le personnage de Widmark, sans ses éclats de rire hystériques qui le rendaient inoubliable auquel Price substitue un nombre impressionnant de tares, de tocs : il est asthmatique, ne supporte pas le goût du métal dans la bouche, commet de terrible fautes de syntaxes et change d’humeur d’une seconde sur l’autre. Personnellement, je trouve sa composition assez passionnante mais c’est Samuel Jackson qui vole le film. Schroeder filme très bien des extérieurs new-yorkais spectaculaires. Je ne sais pas s’il y a un DVD, même aux USA.

ADIEU MA JOLIE gagne aussi à être revue. Beaucoup de films dirigés par Dmytryk à cette époque contiennent de vraies qualités visuelles, un découpage dynamique, y compris CROSSFIRE avec son interprétation magistrale. Revoyez-les.

THE VERDICT (zone 1 sans sous-titres), première réalisation de Don Siegel, est une brillante réussite. Le futur auteur de CHARLEY WARRICK, est très à l’aise dans l’Angleterre victorienne où il nappe tous les décors de brouillard, joue avec les lampadaires, les escaliers, les corridors obscurs. Il faut dire qu’il a deux alliés de taille en Peter Lorre et Sidney Greenstreet, tous deux remarquables.

  

THE WINDOW (zone 1 sans sous-titres) tient remarquablement le coup. Cette adaptation d’une fort bonne nouvelle de Cornell Woolrich (qui entretient une certaine parenté avec FENÊTRE SUR COUR) est fort bien écrite par Mel Dinelli qui ne caricature aucun des protagonistes. Ni le couple de parents, sobrement joués par Arthur Kennedy et Barbara Hale, ni les deux criminels, l’excellent Paul Stewart, tueur sadique impressionnant et Ruth Roman dans un personnage noir. Tetzlaff obtient une photo nocturne, magnifique, joue très habilement avec les extérieurs, tournés dans l’East Side. Rien n’a vieilli en dehors des deux dernières phrases trop attendues.

WESTERNS

J’ai dit maintes et maintes fois mon admiration éperdue pour FUREUR APACHE, l’un des plus grands westerns des années 70. Je voulais juste signaler que le DVD d’Elephant, on peut voir les deux montages, celui d’Aldrich et celui de Lancaster.

AU MÉPRIS DES LOIS de George Sherman se revoit avec bonheur et l’on sent que les scènes réussies sont dues au metteur en scène (utilisation des décors, notamment le fort, de l’espace, mise en scène rapide et fluide).

   

J’ai adoré revoir JOE DAKOTA mais beaucoup dans ce blog partagent mon admiration pour ce western si personnel, si nonchalant, si original de Richard Bartlett, l’un des seuls où on boit du vin au saloon.

ELIA KAZAN
J’ai émis ici même de très fortes réserves sur l’idéologie de SUR LES QUAIS dont le plaidoyer christique et l’interprétation boursouflée de Brando (surtout face à la si rigoureuse Eva Marie Saint) me paraît plus discutable à chaque nouvelle vision. Je n’en suis que plus à l’aise pour dire l’émotion que j’ai ressentie à revoir UN HOMME DANS LA FOULE et BABY DOLL. Deux films où il capte l’atmosphère du Sud (déjà bien évoquée dans PANIQUE DANS LA RUE) avec une acuité très rare à Hollywood. La description de l’arrivée de la géniale Patricia Neal dans une petite bourgade de l’Arkansas dans UN HOMME DANS LA FOULE, de la prison où elle veut questionner des détenus, sont saisissantes de vérité tout comme l’entrée en scène – il n’y a pas d’autre terme – de Lonesome Rhodes. L’association Kazan/Budd Schulberg donne lieu à un film qui est aux antipodes de SUR LES QUAIS et qui prend une force encore plus grande avec l’élection et la personnalité de Donald Trump. La manière dont il cajole, flatte, s’empare de son public vous glace le sang. Sa chute semble imposée par l’idéalisme démocratique des auteurs et même si elle s’inspire ouvertement de celle du sénateur McCarthy piégé par le juge Welsch et par Edward Morrow, le happy end semble un peu forcé. Création époustouflante de Lee Remick qui crève l’écran. Vision indispensable.

BABY DOLL m’a semblé aussi fort, aussi puissant, sinon plus. A la justesse de la description s’ajoute un ton qui transcende l’approche réaliste, la dépasse pour atteindre à la fable. L’âpreté du magistral scénario de Tennessee Williams est amplifiée, dilatée ce qui donne aux personnages un côté « plus grand que la vie », pour reprendre le titre d’un Nicholas Ray. Et le film bifurque parfois vers la farce, l’ironie tranchante notamment dans la description de Archie Lee, le mari en titre de Baby Doll, obtus, ignorant, raciste, obsédé, voire de certains moments avec Eli Wallach à qui Kazan demanda de s’inspirer du jeu de De Sica, tout en lui donnant une couleur plus impitoyable qui annonce les mafieux à la Joe Pesci. Kazan insuffle un érotisme brûlant, sans rien montrer, dans toutes les scènes entre Wallach et Caroll Baker, en jouant sur les corps, les visages, tout ce que les acteurs parviennent à suggérer sans le dire ou le mettre en avant notamment dans l’inoubliable séquence de la balancelle et aussi du dîner. A une interprétation sensationnelle (premier film de Wallach et Carroll Baker) jusque dans les petits rôles, le shérif, le marshall, le second de Vaccaro, tous sidérants de présence et de force dramatique. Ce à quoi s’ajoute l’étrange chœur des Noirs se gondolant face à ces Blancs qui se déchirent. Les dernière réplique est inoubliable : « il nous reste plus, dit Baby Doll à sa tante, les deux femmes malmenées par des prédateurs, qu’à attendre jusqu’à demain pour voir si l’on se souvient de nous ou si l’on nous a complètement oubliées. »

PANIQUE DANS LA RUE est pour moi le meilleur Kazan de la première époque avec LE LYS DE BROOKLYN. Très supérieur à BOOMERANG, terne et conventionnel, à PINKY et au MUR INVISIBLE, mise en cause démodée de l’antisémitisme. Le tournage en extérieurs à la Nouvelle Orléans stimule Kazan : la photo de Joe McDonald est aussi impressionnante et audacieuse que chez Hathaway. Kazan, sous l’influence de Ford, impose des plans longs aussi bien dans les scènes intimes et familiales, toutes réussies, que dans les séquences d’enquête où Widmark et Paul Douglas, tous deux exceptionnels, côtoient des dizaines de protagonistes pittoresques, effrayants, dangereux, dans des décors étonnants de vérité : chambres crasseuses d’hôtels, restaurants de bas étage, salle d’embauche dans les docks. C’est le premier film où Kazan se penche sur son passé et met en scène des Grecs, des Arméniens et nombre de migrants étrangers dont des Asiatiques. On a beaucoup dit que cette menace de transmission du virus de la peste que faisaient peser ces étrangers symbolisaient le communisme mais je pense qu’il faut relativiser et se dire d’abord que ces constatations renvoient à des faits authentiques. C’est hélas à travers cette population que le virus peut naitre et se propager vu l’absence de tout contrôle sanitaire. Et le cinéaste n’est pas tendre vis à vis des représentants officiels qui font preuve de la même ignorance, de la même myopie et arrogance que l’administration et les fidèles de Trump.

JOHN HUSTON
PROMENADE AVEC L’AMOUR ET LA MORT revu pour la douzième fois me bouleverse toujours autant. Huston filme un monde déchiré par la violence, la haine notamment des femmes, les préjugés les plus féroces, préjugés de classe et préjugés religieux (le film compte une galerie conséquente d’ecclésiastiques odieux, bornés et effroyablement misogynes) avec une infinie et terrible douceur.

  

LES GENS DE DUBLIN me bouleverse chaque fois davantage quand je le revois. La manière dont Huston orchestre tous ces destins qui s’entrecroisent durant une fête rituelle vous prend à la gorge par son intelligence, son acuité, son attention ironique et empreinte de compassion pour tous les personnages, notamment cet ivrogne terrorisé par sa mère. L’irruption en haut d’un escalier d’Anjelica Huston pendant qu’on chante off une vieille et bouleversante ballade, ce qui va déclencher l’évocation de son premier amour, compte parmi les moments les plus déchirants de l’histoire du cinéma.

HOWARD HAWKS
HIS GIRL FRIDAY (coffret Editions Montparnasse), une des sommets de Hawks, vous entraîne dans tourbillon implacable. C’est une des rares œuvres du cinéaste où il semble prendre parti contre l’injustice, la peine de mort, et la corruption politique. Dans le même coffret le génial MY MAN GODFREY où Carole Lombard est déchaînée et le surestimé LA JOYEUSE SUICIDÉE. On peut le comparer avec SPÉCIALE PREMIÈRE, un des nombreux remakes, celui-là signé Billy Wilder dont je n’avais pas gardé un immense souvenir.

POUR CÉLÉBRER RICHARD LESTER
Avez vous lu le livre d’entretiens que Steven Soderbergh, grand admirateur de Lester, lui a consacré ? Un livre qui témoigne de la passion d’un cinéaste pour un de ses collègues.

J’ai donc revu CUBA, vrai triomphe de mise en scène pendant les trois quarts du récit. On a rarement aussi bien disséqué les derniers moments de Battista, la chute d’une dictature avec ce mélange typique de Lester de flambées de violence, de détails cocasses, incongrus, inhabituels, de notations très fine, très acérées sur les personnages. Sean Connery revient à Cuba pour défendre le régime et retrouver un ancien amour, la très émouvante Brooke Adams et il doit affronter le climat de corruption qui gangrène l’île, l’incapacité des troupes gouvernementales à affronter les rebelles (ils n’osent pas quitter les routes et ne savent rien sur ce qui se passe vraiment) et des rapports amoureux complexes. Dans une séquence mémorable, un grand dîner mondain, suite de banalités autour d’une soupe de pois, est brusquement interrompu par un attentat sanglant. Battista, lui, visionne LE CAUCHEMAR DE DRACULA. Malheureusement, la production a du insister pour rajouter des scènes d’action banales, une bataille de char dans une plantation de canne à sucre, dont on se serait bien passé. Mais cela n’efface pas tout ce qui précède.

TERREUR SUR LE BRITANNIC compte parmi les chefs d’œuvre de Lester. On écrivait dans 50 Ans que c’était sans doute le meilleur film catastrophe jamais tourné, le plus original, le plus intelligent. Lester qui fit refaire le dialogue par un grand scénariste de télévision, truffe ici aussi toutes les scènes de détails quotidiens, cocasses, surprenants qui donnent une vie étonnante à la moindre scène. Un appel téléphonique où on apprend que 7 bombes vont exploser sur le Brittanik se déroule dans une pièce où un malheureux père de famille tentait de faire manger ses enfants. Bref Lester filme tout ce qu’on évacue d’ordinaire et nous surprend à chaque second. Les scènes de déminage, haletantes, comptent parmi les mieux filmées du genre et on pense au sublime THE SMALL BACK ROOM de Michael Powell, film matrice du Lester. Les deux oeuvres partagent le même ton inspiré, décapant, anarchiste. Lester et son scénariste rendent le gouvernement anglais responsable des actions terroristes.

LA ROSE ET LA FLÈCHE reste l’un des films les plus célébrés de Lester qui débute comme souvent par des séquences décapantes, remettant en cause les codes et les mythes. Richard Cœur de Lion est une brute sanguinaire, assoiffé de lucre, un sociopathe qui change d’idée constamment et massacre tout le monde autour de lui. Les Croisades ont été une suite de massacres sanglants (le récit que fait Robin de la victoire de Saint Jean d’Acre est terrifiant), la forêt de Sherwood est envahie par les ronces. Puis le ton bifurque et Lester signe une œuvre éperdument romantique. Robin des Bois est passé à côté d’un grand amour, et de sa vie. Parti en croisade, il a abandonné Marianne qui est devenue abbesse et leurs retrouvailles vont commencer par un affrontement typique de la comédie américaine pour laisser place à une émotion bouleversante. Par bravade, Robin s’accroche à sa gloire que célèbrent des chansons plus ou moins fictives, refusant de demander à Marianne de rester avec elle et va vouloir affronter le shérif qu’interprète brillamment Robert Shaw, ce qui nous vaut un duel anthologique Les dernières séquences sont bouleversantes (comment oublier la dernière tirade de Marianne : « Je t’aime plus que la lumière du soleil, que la chair, que la vie, que les prières du matin ») et le couple Sean Connery/ Audrey Hephburn est inoubliable. Rappelons que Michel Legrand avait écrit la première partition du film que l’on peut entendre dans le coffret assemblé par Stéphane Lerouge mais Lester déclare à Soderbergh que Ray Stark, le producteur, choqué par quelques dissonances, exigea un score plus classique confié à John Barry. Bonne occasion de comparer les deux.

ROBERT PARRISH
Ces temps-ci, j’ai eu envie de me plonger à nouveau dans les films de Robert Parrish. L’humanisme qui s’en dégage, la manière dont il filme les personnages de femmes, les histoires d’amour m’ont encore plus touché et j’ai trouvé par exemple IN THE FRENCH STYLE, dans ses deux derniers tiers, poignant, sensible et si peu moralisateur. Idem pour LA FLAMME POURPRE, sorti dans un beau Blu-ray défendu dans ce blog par Sidonis. J’ai fait découvrir ce film à mon ami Patrick Mulligan qui a été touché par la manière dont Parrish bat en brèche les codes du cinéma américain de l’époque, privilégiant les sentiments, les émotions. Et à son tour, il me dit qu’il a adoré MY PAL GUS (zone 1) que je n’ai jamais revu depuis les années 60, louant une œuvre tout à fait inhabituelle, peut être le premier film parlant ainsi d’une famille monoparentale, donnant à Widmark un personnage émouvant, tout en douceur. J’ai donc acheté le DVD.

Mon ami Pat McGilligan avait découvert il y a quelques jours MY PAL GUS (Fox) que j’ai acheté, ne l’ayant jamais revu depuis la fin des années 60, l’avait beaucoup aimé ajoutant qu’il s’agissait une chronique sur une famille monoparentales très inhabituelle pour l’époque, qui battait en brèche de nombreux clichés à commencer par le culte de la réussite, des valeurs matérielles. Richard Widmark dans un changement complet de tonalité et de couleur joue avec une douceur, une chaleur peu exploitée à l’époque, un homme d’affaires qui passe à coté de son fils, pendant que l’argent règle tous les problèmes.  Et une fois encore, comme si souvent chez Parrish, c’est une femme – la très craquante Joanne Dru, miracle de douceur sereine – qui va le rééduquer, lui apprendre à lire, à découvrir les autres (les parents d’élève). Rien d’ostentatoire, de tapageur mais une délicatesse, une douceur rares.

J’ai revu à la hausse dans la belle édition sortie par Rimini, L’ENFER DE TROPIQUES, malgré les coupes et le remontage du producteur qui a cassé la structure en flashbacks, dévertébrant le récit et l’amollissant. En partant du Blu-ray, j’ai pu, sinon reconstituer la construction, du moins identifier le vrai début du film, exercice très marrant. Il se situe dans l’avant-avant-dernier chapitre et démarrait avec cette énigmatique collision entre deux bateaux dans le brouillard, mieux montée. Puis le téléphone réveillait le docteur que l’on accompagnait. On découvrait ainsi le décor, cette ile des Caraïbes et on accompagnait le docteur qui partait accoster en haute mer le cargo grec qui avait été endommagé. Là, on découvrait Lemmon, coincé dans la cale. Début elliptique, brillant, énigmatique, très supérieur à l’introduction actuelle. Pendant au moins 20 minutes, on ne voyait que Lemmon, et Mitchum n’apparaissait que quand on lui fait quitter le combat de coqs et qu’il lance à Rita Hayworth, « je pars en ballade », ce qui lui faisait une très bonne introduction, très Mitchum. Les premiers flashbacks devaient survenir au moment ou juste avant que les deux héros se rencontrent. Les producteurs ont non seulement cassé cette construction, ils ont éliminé un personnage, distendu des scènes qui étaient plus ramassées dans la construction non chronologique, ajouté une histoire de lettre à laquelle on ne comprend rien. Ce massacre ne parvient pas à détruire le ton noir, romantique, désillusionné que Shaw et Parrish avait imprimées à leurs personnages : celui de Mitchum est particulièrement sombre et misogyne. Le personnage d’Hayworth est filmé avec infiniment de respect, de compassion et on peut voir dans les trois protagonistes, les ébauches de ceux qu’incarneront Julie London, Gary Merril et Mitchum dans L’AVENTURIER DU RIO GRANDE. A noter que Lemon compose le thème qu’il joue à l’harmonica.

SAN FRANCISCO STORY (zone 1) revu dans une copie médiocre comprend un bon nombre de détails marrants, d’échanges très bien écrits par William Bowers (non crédité). Le film souffre d’un manque de moyens évidents – les décors pauvres, étriqués – même si Parrish camoufle ces manques avec une quasi absence de lumière dans les rues et de grandes nappes de brouillard. De multiples personnages secondaires très savoureux comme cette tenancière de saloon borgne qui n’arrête pas de trahir tout le monde en éclatant de rire ou ce sénateur carpette constamment ridiculisé par Sidney Blackmer (« On avait besoin d’une non entité et vous étiez de loin le meilleur ») rattrapent quelques uns de ces manques.

THE DESTRUCTORS soutenu par une belle photo de Douglas Slocombe, est visuellement beaucoup plus brillant notamment durant une longue poursuite dans la gare d’Orsay, décor spectaculaire. Certaines séquences sont traitées avec un humour elliptique, une rapidité narrative qui évoque CRY DANGER (les meurtres commis par Michael Caine, la mort de James Mason pendant que l’orchestre joue « Round Midnight », où Parrish se sert de la danse pour chorégraphier cette exécution, laquelle se déroule durant une cérémonie dénonçant la pollution à Marseille (déjà). Bien dirigé, Anthony Quinn laisse affleurer dans la première partie, une délicatesse, une douceur un peu lasse (dans ses scènes avec Alexandra Stewart) qui lui confèrent un vrai charme, trop rarement sollicité.. Malheureusement le scénario du producteur Judd Bernard, accumulation de séquences provenant d’autres films et de clichés s’épuise dans les sempiternelles courses de voitures, malgré les idées, les nouveaux dialogues, réinjectés au jour le jour avec la complicité des acteurs.

J’ai découvert grâce à mon ami Bill Ferris que l’on peut voir dialoguer avec moi et avec Parrish dans MISSISSIPPI BLUES, un beau documentaire sur le scénariste et dramaturge Horton Foote (HORTON FOOTE : THE ROAD TO HOME). Il fut l’un des rares scénaristes à développer un univers personnel avec ses thèmes, ses obsessions, ses personnages, le plus souvent des gens simples, déchirés par des conflit familiaux, sentimentaux, des problèmes de travail, d’alcool, d’argent, d’identité, qui essaient de survivre tant que mal. Auteur de nombreuses pièces pour le théâtre et la télévision qui se passent toutes dans le sud ou sud ouest du Texas, autour de la ville de Wharton, l’équivalent du comté de Yoknapatawpha pour Faulkner. On l’a surnommé le Tchekhov américain tant les conflits sont souvent traités en filigrane, comme murmurés. Alors que les gadgets, les effets spéciaux, les franchises ont envahi le cinéma des années 80, il est rafraichissant et courageux d’avoir fait naître tant de films dans lesquels les émotions sont le moteur, la dynamique, la raison d’être de l’action et qui tentent de préserver les racines, le passé non sans éviter parfois le sentimentalisme quand le réalisateur n’est pas à la hauteur du propos. Il est louable et émouvant de s’attacher à des personnages souvent oubliés par le cinéma de studio (vieillards, marginaux, chômeurs, travailleurs agricoles), à ces solitaires qui habitent dans des coins perdus. Les extérieurs, les décors de TENDER MERCIES – ce motel, cette station service, ces bars disséminés le long des routes – sont à cet égard, sidérants. Après son Oscar pour le scénario de TO KILL A MOCKINBIRD, Foote refusa pratiquement toutes les propositions d’Hollywood, préférant revenir à ses propres œuvres mais afin d’être sûr qu’elles soient respectées, il choisit souvent des réalisateurs de télévision moins inventif que Beresford ou Mulligan.

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Nov
03

L’IDIOT DU PALAIS est un court et brillant récit de Bruno Deniel-Laurent, au ton incisif, qui autopsie la vie d’un palais princier possédé et habité par une famille saoudienne vue par un jeune homme dont le principal travail consiste à gérer le départ et le retour des cinq voitures que doit  emprunter soit la princesse, soit le prince (qui semblent ne jamais habiter ensemble). Le ton est caustique, acerbe mais jamais condescendant. Au contraire, l’auteur relate avec un détachement empreint de compassion, toutes ces nationalités qui se croisent et sont impitoyablement exploitées (les Africaines dans l’enfer des lingeries et des machines à laver, les Serbes à la sécurité, les Philippines autour de la princesse, les Indiens dans les cuisines, les Soudanais à l’intendance), les libertés prises avec le droit du travail (et les droits de l’homme !), l’esclavagisme rampant, mais aussi les sordides collisions entre ce monde et les esclaves sexuelles de la Porte de la Chapelle. Et tout ceci se passe à Paris.

J’ai adoré le film de Paul Grimault, LA BERGÈRE ET LE RAMONEUR que je n’ai peut-être jamais signalé, ce qui est dommage. Grimault était un grand ami de Prévert (auteur du scénario de LA BERGÈRE) mais aussi d’Aurenche qui écrivit beaucoup de ses courts-métrages et tourna des films publicitaires où, parfois, il jouait (on en voit un dans COUP DE TORCHON).  Je vais me précipiter pour lire de Sébastien Roffat « La Bergère et le Ramoneur de Paul Grimault et Jacques Prévert : chronique d’un désastre annoncé » (juin 2020, Éditions L’ Harmattan) qui raconte avec force détails la genèse, le déroulement artistique, financier et juridique de ce premier film d’animation français où on se rend compte que tout n’a pas été dit, loin de là et que l’histoire et les médias n’ont donné raison qu’aux auteurs en occultant la vérité en écartant la parole du producteur André Sarrut. Voulant me faire une idée, je vais l’acheter.

Je voudrais signaler la revue AMERICA co-dirigée par Francois Busnel qui raconte l’Amérique du point de vue des écrivains, ce qui nous vaut des textes passionnants sur la situation politique actuelle. Je viens d’acheter les  derniers numéros. Groupez vous pour acheter ces revues, les faire acheter par les médiathèques, les bibliothèques et ne pas les laisser dépérir ou disparaître comme LE DÉBAT dont il faut posséder le dernier numéro et rendre hommage à Marcel Gauchet et Pierre Nora.

Je voudrais revenir sur MOSCOU NE CROIT PAS AUX LARMES abordé dans mon billet précédent après avoir revu le film et découvert les passionnants bonus de Françoise Navailh où l’on apprend que le film qui avait été traité avec beaucoup de hauteur, de mépris par la bureaucratie de l’époque fit 84 millions de spectateurs la première année. Il fut accueilli avec une grande hostilité en France. Il faut dire comme le rappelle cette spécialiste du cinéma russe qu’il avait remporté l’Oscar du meilleur film étranger, battant LE DERNIER MÉTRO, l’une des grandes réussites de Truffaut que j’avais revu avec beaucoup de plaisir quelques jours avant.
Je n’avais pas assez vanté les acteurs de MOSCOU, à commencer par l’héroïne, comédienne de théâtre et par ailleurs l’épouse du réalisateur Vladimir Menshov : Vera Alentova que son mari choisit parce que les autres comédiennes pressenties avaient toutes refusé. Dans le rôle de Gocha, Aleksei Batalov est inoubliable et cela dès sa première apparition dans un train de banlieue où il déboule en portant un samovar. Françoise Navailh analyse très finement ce personnage d’ajusteur, réfutant les accusations de machisme et le replaçant dans les contexte des rapports hommes-femmes de l’époque. Elle montre qu’il est généreux, attentionné, courtois, tout le contraire de l’homme russe qui ne songe qu’à se réfugier derrière sa mère et à refuser de se sentir coupable. Le premier amant de l’héroïne, ce caméraman travaillant à la télévision, qui l’engrosse et refuse de reconnaître l’enfant, est un bon exemple de cette muflerie arrogante, paraît-il si répandue.

FILMS ITALIENS

Il est enfin possible de voir en Blu-ray chez Rimini ce chef d’œuvre qu’est LA GRANDE PAGAILLE de Luigi Comencini qu’adorait Jean-Pierre Melville. Une comédie sarcastique truffée de plans, d’interruptions tragiques, noires, violentes : la séquence où l’on découvre que le camion de Sordi transporte de la farine est inoubliable. Il se déroule dans ce trou noir de l’histoire italienne (très bien analysé dans les bonus) entre la démission de Mussolini et son rétablissement comme une marionnette des Allemands, dans un moment où tout le monde se bat contre tout le monde. Lors d’un voyage homérique, pendant de l’Odyssée, un officier conservateur, culotte de peau, va perdre peu à peu tous ses hommes, traverser des situations absurdes ou pénibles, être témoin d’actes égoïstes mais aussi de gestes de solidarité et d’entraide et va évoluer vers un peu d’humanité. Film complexe, épique, d’une folle invention scénaristique (toujours Age et Scarpelli ainsi que Sonego) et visuelle avec une des interprétations les plus géniales, dieu sait s’il y en a, d’Alberto Sordi. Le film est à ranger à coté de la GRANDE GUERRE, DES CAMARADES, D’UNE VIE DIFFICILE parmi les chefs d’œuvre historiques du cinéma italien. Je reviendrai sur ce film indispensable.

J’ai suivi la recommandation de DIXON STEELE et ai acheté LES FEMMES DES AUTRES de Damiano Damini qui est une étonnante surprise, une œuvre complexe, personnelle. Ces déambulations nocturnes de plusieurs maris en goguette à la recherche de conquêtes féminines sont filmées sans complaisance. On assiste à un festival de mensonges, de faux semblants, de forfanteries, voire de goujateries traitées sans condescendance ni apitoiement où tout à coup surgissent à l’improviste des moments touchants, tendres. Nulle exaltation dans cette série d’échecs, de faux pas, de revirements, de déception. Rien de misogyne dans cette description même si parfois on craint que le propos déplaise aux adeptes de MeToo. Et d’ailleurs, le film tout à coup se resserre autour de la recherche d’une ancienne amoureuse d’un des héros, qui a disparu après un séjour en prison, et devient noir, accusateur, impitoyable. Cette rencontre est déchirante et donne la vraie morale de ce film passionnant et unique dans l’œuvre de Damiani.

LE MÉDECIN DE LA MUTUELLE de Luigi Zampa sorti dans l’excellente collection Make my day de Jean-Baptiste Thoret est une comédie décapante, ironique et sceptique. Encore un personnage idéal pour Sordi. Zampa dissèque les dérives d’une médecine où seule compte le nombre de malades qui se sont affiliés à la mutuelle et sur le carnet d’un docteur, qu’on les soigne ou pas. Mille bravos pour le bonus qui analyse remarquablement ce qui fait l’originalité de Zampa. C’est érudit, clair et très précis quant aux implications sociales et politiques. En attendant ANGELINA et peut-être LA BELLE ROMAINE ?

L’ÉVADÉ DU BAGNE de Riccardo, certainement l’un de ses chefs d’œuvres est annoncé également dans la collection Make My day. Je brûle d’envie de revoir le début si spectaculaire (les évasions de Valjean), la déchéance de Fantine (et le sublime travelling en carriole) arrière évoquant un bref moment de bonheur, les scènes avec Cosette qui laissaient passer une émotion que Freda a réprimé par la suite. Il avait gardé des passages du livre que l’on coupe habituellement, notamment ce mensonge de la mère supérieure qui protège Valjean et Cosette.

Revu avec un vrai plaisir COLORADO de Sergio Sollima, un des meilleurs westerns italiens qui bénéficie d’une superbe partition d’Ennio Morricone. Le scénario s’inspire d’un sujet de Solinas (MONSIEUR KLEIN, ETAT DE SIÈGE) et se veut ouvertement politique. C’est la revanche des prolétaires contre les puissances d’argent. Sollima possédait un vrai talent, une vraie sensibilité, ici comme dans LE DERNIER FACE À FACE. Il est bon qu’on revienne sur Sollima dont j’avais été l’attaché de presse (tout comme Damiano Damiani mais ce dernier est l’un des rares cinéastes italiens qui ne parlait pas français) et dont j’avais aimé LA CITÉ DE LA VIOLENCE avec Bronson.

Je viens de découvrir un film qui m’a enchanté, ému et qui devrait passionner les adeptes du blog malgré quelques scories ou défauts dont certains inévitables (ressemblance entre des acteurs et des personnages célèbres). Il s’agit de CELLULOID traduit en français par REMAKE ROME VILLE OUVERTE, titre idiot et contre-sens absolu. Il s’agit d’un film de fiction sur les aléas insensés du tournage de ROME VILLE OUVERTE avec les rapports passionnés et orageux entre Rossellini et son volcanique scénariste Sergio Amidei. J’ai appris plein de choses notamment sur la manière dont ce film avait été si honteusement traité en Italien non seulement par les financiers (la description du producteur Amato est irrésistible), les distributeurs mais aussi par la critique italienne qui ne s’en est pas vanté. En fait, il avait été sauvé par la sortie à New York et à Paris. C’est un film de Carlo Lizzani que j’ai voulu voir après avoir découvert ACHTUNG BANDITI, l’une de ses premières réalisations, peut être le meilleur film de partisans jamais tourné à la mise en scène ample, généreuse. L’absence de héros central, la multitude de personnages n’a d’équivalent, à l’époque, que JERICHO de Calef que je recommande chaque fois qu’il est possible.

FILMS ANGLAIS

LA FERME DES ANIMAUX (Malavida) de Halas et Batchelor est une adaptation qui a gardé toute son actualité de la fable satirique et politique de George Orwell. L’animation et le graphisme ont parfois un peu vieilli mais l’essentiel du message de l’écrivain, son autopsie des errances du régime communiste sont préservés.

Sortie chez Doriane de THE BROWNING VERSION d’Anthony Asquith d’après Terence Rattigan (la pièce fut montée par Didier Bezace) dont j’ai dit plusieurs fois ici tout le bien qu’il fallait en penser. Interprétation inoubliable de Michael Redgrave. On doit aussi à Terence Rattigan les scénarios du MUR DU SON, l’un des David Lean les plus secrets et les plus touchants qui vient de ressortir dans la collection Make My Day de Jean-Baptiste Thoret et du ROCHER DE BRIGHTON de Roy Boulting.

Au Festival Lumière, j’avais revu avec un immense plaisir LE PONT DE LA RIVIÈRE KWAÏ, un des chefs d’œuvres de Lean et la copie restaurée mentionne bien les noms de Carl Foreman et Michael Wilson comme scénaristes (ils étaient sur la liste noire et l’Oscar fut décerné à Pierre Boulle qui ne parlait pas anglais, ce qui provoqua une polémique). Mais selon Brownlow, Lean participa énormément au scénario. Ce film est une des études les plus percutantes, les plus justes, les moins dogmatiques de la collaboration et je ne regrette qu’une seule réplique : le « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? » du colonel Nicholson dans la dernière séquence.

Tamasa vient de sortir toute une série de films passionnants : POOL OF LONDON (LES TRAFIQUANTS DE DUNBAR) de Basil Dearden, loué plusieurs fois ici même. En dehors de la spectaculaire poursuite finale, on peut découvrir une des premières intrigues amoureuses interraciales du cinéma anglais, audace incroyable pour l’époque. Elle est forte et pudique. Dearden s’attaquera à nouveau au problème racial dans SAPHIRE (OPERATION SCOTLAND YARD) s’en prenant aussi bien au racisme imprégnant toutes les classes de la société anglaise, moyenne (la famille de l’amoureux de Saphire), populaire (les délinquants trainant dans la rue, les loueuses de chambre ou d’appartement,), la police mais aussi la communauté noire, soit qu’elle nie le problème ou veuille le combattre avec les mêmes armes. Le scénario abuse un peu, vers la toute fin des fausses pistes et des retournements à la Mary Higgins Clark mais certaines séquences possèdent une force incontestable.

Toujours chez Tamasa, L’HOMME DE BERLIN qui a ses défenseurs. Je l’avais revu il y a quelques années et n’avais pas été convaincu, le scénario de Harry Kurnitz me paraissant nettement moins original et incisif que celui de Graham Greene pour LE TROISIÈME HOMME. Toute la première partie reste intrigante et James Mason possède une force incontestable. Mais le personnage de Claire Bloom est mal écrit, ce qui dilue le propos.

THE BLUE LAMP, toujours de Basil Dearden, a vieilli durant son premier tiers, notamment tout ce qui tourne autour du personnage de Jack Warner. La vision de la police semble un peu trop apologétique mais le ton se durcit par la suite et l’on est touché par la pudeur, la sobriété si retenue de plusieurs séquences (un jeune policier  doit faire part de la mort d’un de ses collègues à sa femme qui est aussi sa logeuse) qui contrastent avec les éclats de violence, notamment du truand névrosé que joue Dirk Bogarde, par le choix brillant de certains extérieures (l’étang où une petite fille qui ne sait dire que non a trouvé un révolver), l’intelligence du dialogue (l’interrogatoire de cette petite fille). Le dialogue additionnel est écrit par Alexander Mackendrick.

Et enfin un policier qui devient culte, PAYROLL de Sidney Hayers avec Françoise Prévost que je vais revoir le plus vite possible et surtout ICE COLD IN ALEX (LE DESERT DE LA PEUR), un excellent film de guerre de Jack Lee Thompson.

Et j’ai été ébloui par BRÈVE RENCONTRE (CARLOTTA), premier film vraiment personnel de David Lean qui témoigne tout au long d’une maîtrise qui n’a pas pris une ride. Visuellement, le film reste impressionnant et sa splendeur visuelle ne vient jamais contrarier la sobriété sèche, délicate du ton mais la fait ressortir sans l’exhiber. Le romantisme est là, sous-jacent, servi par une interprétation d’une rare profondeur. A noter que ce film  fut aussi bien assassiné par les Cahiers (haine du cinéma anglais) que par Positif parce que sacrifiant à la morale bourgeoise (les amants se séparent, piétinant l’amour fou) tout comme LE VOLEUR DE BICYCLETTE (on se souvient de la tirade contre ces films misérabilistes ou les petits garçons font pipi contre les murs) a été totalement réhabilité de même que le concerto numéro 2 de Rachmaninov qu’il utilise comme leitmotiv et qui était la cible favorite des critiques musicaux. Rachmaninov et Lean, même combat.

MADELEINE, malgré des vertus évidentes (le choix de Glasgow et plusieurs séquences très fortes, dont le début), reste moins satisfaisant. On est un peu frustré devant ce que l’on peu considérer comme une absence de parti pris par défaut. Il faut dire que cette impression est renforcée par le jeu d’Ann Todd, actrice assez ingrate, beaucoup moins rayonnante que l’interprète de BRÈVE RENCONTRE. Reste ce décor très bien exploité, filmé de cette chambre en sous-sol qui donne sous la rue et communique avec une petite ruelle. Ce lieu à lui seul symbolise les rapports de classe, leur imperméabilité ce qui donne une force incroyable au moment où Ivan Desny fracasse le soupirail.

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