UN PETIT TOUR VERS L’ITALIE
ANNI DIFFICILI. C’est sous ce titre qu’il faut acheter le film de Luigi Zampa que je viens de découvrir dans une copie restaurée par la Cinémathèque de Milan en VO sous-titrée. Sous le titre français on a le droit à une version de LCV qui mélange des bouts en VO et en Version doublée. C’est une oeuvre passionnante qui traite de la montée, de la prise du pouvoir du fascisme sous un angle original, à travers des sous-fifres souvent suivistes fascinés, un héros hésitant que l’on force à s’engager. Bon nombre de notations sont âpres et percutantes et n’épargnent pas les puissants toujours du côté du manche. Zampa et Brancati montrent bien que la ferveur fasciste se nourrit souvent de principes irresponsables (la mère ou la fille du héros en sont des exemples parfaits) et aussi les profiteurs sournois qui retournent leur veste. J’ai adoré le Baron cauteleux et répugnant qui devient podestat puis retourne sa veste. Il y a des moments percutants : les deux plans du cheval blanc de Mussolini qui n’arrivera jamais à Alexandrie. Décrire cette horreur sur un ton qui parait léger est passionnant mais, comme le dit Tullio Kesich, en fait c’est un film profondément tragique. Là encore, plein de bonus passionnants dont une longue analyse des affrontements que provoqua le film, avec la commission de Censure et avec le parti communiste (Italo Calvino ne put jamais publier sa défense dans l’Unita où il disait que c’était le film anti-suivisme, moralement exemplaire). La bataille avec la Censure fut réglée par Andreotti qui défendit le film et avec le PC par Togliatti qui le jugea juste, ce qui fit changer d’avis les critiques du Parti. Un historien déclare que Zampa dont l’oeuvre est considérable a été brusquement oublié, rayé des mémoires : « C’était le héros des fins de films. Il avait un sens de la synthèse dramatique qui lui permettait de tout recentrer dans les dernières images. »
IL VIGILE (Tamasa), toujours de Luigi Zampa, démarre sur les chapeaux de Roue. Alberto Sordi, toujours avec la complicité de Rodolfo Sonego (que l’on retrouvait dans QUI A TUÉ LE CHAT), brosse de manière foudroyante un épouvantable fainéant, profiteur qui passe son temps à sermonner les autres, à leur expliquer comment travailler et se comporter, provoquant moult problèmes au passage. Dans la deuxième partie, les choses se tassent un peu, le propos semble plus contraint mais certaines séquences restent jubilatoires.
LE CHÂTEAU DES AMANTS MAUDITS (Gaumont collection rouge) sort hélas dans une copie non restaurée qui ne rend que faiblement l’éclat des couleurs, les audaces de certaines juxtapositions de teintes (le bleu et le doré), notamment dans la si belle (dans mon souvenir, la photo était de Gabor Pogany) séquence d’ouverture : cette poursuite par une nuit d’orage d’une jeune fille par deux groupes de cavaliers dans une forêt. Du coup, on fait plus attention aux raccords, à une direction d’acteurs primitive. Le scénario, je l’avais oublié, est co-écrit par Jacques Remy, le père d’Olivier Assayas.
On trouve enfin quelques films d’Antonio Pietrangeli dans un indispensable coffret (éditions seven7) consacré à ce cinéaste mort si jeune à 49 ans en 1968, aussi discret que raffiné. Ses œuvres tournent toujours autour d’héroïnes, de personnages de femmes maltraitées, exploitées, abusées par une société masculine. Pietrangeli ne cesse de dénoncer l’arriération mentale, morale de ses compatriotes, à travers des personnages provinciaux, souvent humbles. Il prend l’histoire de biais, sans aucun a priori idéologique, saisit au vol au moyen de transitions audacieuses avec une caméra qui scrute le paysage, le décor. Il faut absolument commencer par JE LA CONNAISSAIS BIEN où la sublime Stefania Sandrelli incarne une jeune fille de la Toscane qui va s’écorcher le cœur en poursuivant de vagues et illusoires rêves de grandeur à Rome. Elle veut, sans sembler trop y croire, devenir une star et se fait mener en bateau par des margoulins, humilier par des mufles. Elle est naïve, candide, d’un naturel optimiste et bienveillant. Pas farouche avec des hommes pourtant minables, elle refuse de coucher pour de l’argent. Cette chronique douce amère, traversée par des éclairs fulgurants, des juxtapositions de scènes et de plans qui vous prennent à la gorge, devient de plus en plus grave jusqu’à une conclusion d’une rapidité déchirante.
CONFESSION D’UN COMMISSAIRE DE POLICE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE (M6 Vidéo) est, avec EL CHUNCHO, l’une des grandes réussites de Damiano Damiani malgré l’emploi systématique du zoom. Ces deux films partagent, à travers les péripéties héritées du film de genre, la même approche analytique, dialectique ou chaque geste, chaque prise de position d’un des deux héros est systématiquement remis en perspective et par rapport à l’autre et par rapport au contexte social. Damiani s’intéresse aux facteurs endogènes du changement, c’est à dire ceux qui naissent du fonctionnement même de la société. Comme l’écrit Mailox dans Psychovision : « CONFESSION D’UN COMMISSAIRE DE POLICE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE reste à mon avis son meilleur. Il convient de préciser qu’on semble tenir là le premier film sans espoir aucun sur l’ascension mafieuse. Impasse et désespoir que l’on retrouvera d’ailleurs dans les deux autres films cités, dotés d’une fin laissant peu de place à l’éradication d’un système bien trop puissant pour être démantelé.
CONFESSION… est- il, à proprement parler, un film anti-mafia ? Eh bien pas vraiment, ou en tout cas pas seulement. Le réduire à cette simple charge ne serait vraiment pas lui rendre hommage […] tandis que Damiani livre ici un film bien plus riche en questionnements et thématiques, tout en surfant brillamment sur divers genres.
Soit, tout cela est très bavard, mais doté d’une tension qui ne se dément jamais. Ce ne sera pas forcément toujours le cas pour ses films suivants.
Difficile, voire impossible de faire appliquer la loi. Tout va dans ce sens au sein de cette excellence, en plus de retranscrire parfaitement la paranoïa d’une époque où l’Italie ne croyait plus en rien.
Les personnages du juge campé par Nero et celui du flic campé par Balsam servent finalement le même propos. Et ce à quoi on assiste, c’est un duel sans fin entre un juge ultra-légaliste, qui croit encore que la justice, telle qu’elle est faite, peut éradiquer la vermine ; tandis que de l’autre, Bonavia a perdu toute illusion depuis bien longtemps. Poursuivant néanmoins un but commun, jamais ils ne parviendront à s’entendre. Ils sont emblématiques de deux visions opposées de la justice. Sauf que l’un est encore dans la théorie, l’autre est depuis longtemps dans la pratique.»
J’avais redécouvert Alessandro Blasetti avec le très réjouissant DOMMAGE QUE TU SOIS UNE CANAILLE. AMOUR ET COMMÉRAGES (dans la même collection chez SND) renforce encore cette impression. Cette comédie incisive trace un portrait décapant du chef de l’opposition dans une mairie conservatrice qui, une fois au pouvoir, va pactiser avec l’industriel qu’il dénonçait à grands coups d’envolées lyriques. Vittorio De Sica est délectable dans ce personnage qui tente de se rassurer avec ses tirades, de dissimuler ses lâchetés sociales et familiales (la manière dont il traite son fils) et Gino Cervi, comédien remarquable, inspiré lui offre un partenaire de choix. Carla Gravina est délicieuse en fille de balayeur qui fait resurgir tous les préjugés de classe de De Sica et met à mal son engagement progressiste. En France ce personnage serait un des chefs de file du PS. Je vais voir dans la foulée LA CHANCE D’ÊTRE FEMME. On trouve dans la même collection MARITI IN CITTA de Comencini et une Germi dont j’ignorais l’existence, MADAME LA PRÉSIDENTE d’après un vaudeville de Hennequin et Weber, auteurs peu alléchants.
QUELQUES FILMS AMÉRICAINS TRÈS RARES
SORTIES 3D
Kino Lorber continue à sortir des DVD en 3D qui avaient totalement disparu du commerce. Chaque galette contient aussi une version 2D et les restaurations sont splendides. Hélas pas de sous-titres. Je ne sais plus si j’avais signalé le très agréable JIVARO d’Edward Ludwig, film d’aventures joliment colorié (les chemises et cheveux de Rhonda Fleming sont un délice) où le relief était très bien utilisé pour augmenter la profondeur de champ, donner du poids au décor (une chambre, un bar) et renforcer un coup de théâtre (la première apparition d’un crane réduit). SANGAREE, toujours de Ludwig était beaucoup plus conventionnel et languissante et THOSE READHEADS FROM SEATTLE, une comédie musicale assez débile se déroulant dans un Klondyke en toiles peintes.
THE MAZE de William Cameron Menzies, immense décorateur (LE VOLEUR DE BAGDAD de Walsh, AUTANT EN EMPORTE LE VENT, LE LIVRE NOIR d’Anthony Mann) bénéficie de critiques louangeuses sur le net. Cela m’a paru pourtant terriblement cornichon, affreusement éclairé, avec un monstre vaguement batracien vraiment ridicule. J’ai enfin pu voir cet ovni qu’est CEASE FIRE (CESSEZ LE FEU) de Owen Crump (pas d’autre long métrage au compteur), sorti au Napoléon, produit par Hal Wallis. Cela raconte une dernière patrouille lors du dernier jour de la guerre de Corée, tourné sur les lieux de l’action (en fait à quelques kilomètres de la ligne de feu apprend-on dans les commentaires) avec de vrais soldats et non des acteurs. Pour des raisons totalement énigmatiques, ce sujet peu spectaculaire, sans vedette avec juste une scène de combat à la fin fut tourné en 3D. On amena donc plusieurs cameras en Corée pour un résultat assez plat, sans jeu de mots. Plusieurs plans très simples dégagent une véritable authenticité et les extérieurs sonnent justes. Ils ressemblent d’ailleurs à ceux de COTE 465 et on se demande si Yordan producteur ne s’est pas inspiré de ce film. Le propos est alourdi par une introduction hyper patriotarde d’un général (on a droit à deux versions) et une musique et une chanson horribles de Dimitri Tiomkin.
FILMS CLASSIQUES
Toujours chez Kino Lober, il faut éviter le désastreux A BULLET FOR JOEY du calamiteux Lewis Allen où on a l’impression que Edward G. Robinson est vraiment heureux quand il sort d’une pièce et termine une scène. Il donne l’impression d’avoir voulu se débarrasser d’un dialogue pourtant signé par Bezzerides et Daniel Mainwaring. J’ai de loin préféré FOXFIRE de Joseph Pevney, un mélodrame racial où la riche et gâtée Jane Russell, une mondaine new-yorkaise, doit apprendre à pactiser avec la culture apache de son mari à demi-indien (Jeff Chandler bien sur). Le Technicolor resplendissant de Charles Lang et un nombre important d’extérieurs enracinent ce mélodrame aux accents sirkiens (durant le générique un plan évoque irrésistiblement l’auteur d’ECRIT SUR LE VENT) et au générique ponctué d’une chanson de Henry Mancini (lyrics de Jeff Chandler qui la chante sans être crédité). On peut aussi trouver chez Kino, FEMALE ON THE BEACH, toujours de Pevney avec toujours Jeff Chandler. Jacques Audiberti, ce me semble, en parla en bien dans les Cahiers du Cinéma.
Chez Warner Archive, il faut se ruer vers THEY WON’T FORGET de Mervyn Le Roy, une des plus cinglantes dénonciations d’une justice biaisée et du lynchage qui s’ensuivit dans une ville du Sud minée par le racisme. Robert Rossen s’inspira pour son brillant scénario d’une histoire vraie. La Censure lui interdit de retenir tout l’arrière plan antisémite et il dut jouer sur le ressentiment anti-nordiste. Malgré ces manques, son scénario analyse de manière cinglante comment se crée une erreur judiciaire. Mervyn Le Roy découvrit durant le tournage Lana Turner dont l’apparition et les scènes sont sensationnelles. Elle a 16 ans, mâche du chewing-gum et rien qu’en marchant allume toute une rue. Mais il sait aussi filmer un lynchage surprenant en quelques plans. Il ne faut pas manquer ce film trop oublié.
MISTER 880 (Fox Archive, sans sous-titres) est une comédie dramatique écrite par Robert Riskin assez placide et aseptisée malgré une bonne interprétation notamment de Dorothy McGuire et surtout de Edmund Gwenn, délicieux en faussaire qui ne fabrique que des faux billets de 1 dollar, ultra grossier, juste pour subvenir à des besoins urgents. Durant la scène de procès, on retrouve le ton de Riskin, mélange de comédie sociale (c’était un démocrate convaincu), de conte de fée et de mélodrame. Le propos devient sérieux, sombre et assez original. Il faut absolument revoir les grands scénarios de Riskin mis en scène de manière si étincelante par Capra : NEW YORK MIAMI, AMERICAN MADNESS, LADY FOR A DAY, L’EXTRAVAGANT MR DEEDS, PLATINUM BLONDE et lire le beau livre de Victoria Raskin sur son père et sa belle histoire d’amour avec Fay Wray (Panthéon Books New York).
Chez Rimini, CAGLIOSTRO de Ratoff est une adaptation assez extravagante et pas trop fidèle de Dumas (Dumas fils est joué par Raymond Burr !!) avec des passages divertissants mais Welles a-t-il pris en main la mise en scène comme le disent certains (qui citent à tort JOURNEY INTO FEAR), il est permis d’en douter. Alexandre Vialatte écrivit une critique très amusante, s’attardant sur le duel final hautement improbable, frôlant la parodie, sur un toit, avec un des combattants qui se cache les yeux pour ne pas se faire envoûter. Le travail de Ratoff est imperturbable et dénué de tout style.
La version des MISÉRABLES (Rimini) de Lewis Milestone contient de fort beaux plans notamment durant les scènes de tribunal avec l’ombre de la balance de la justice se détachant sur le mur ou un immense Christ surplombant le juge durant les interrogatoires de Champmathieu, l’attaque des barricades en montant cut une série de travellings ou quand Valjean se fait expulser de tous les villages. Milestone fignole de des gros plans très dramatiques, de beaux mouvements d’appareil durant les séquences de galère car le scénariste Richard Murphy prend le mot galérien au pied de la lettre et fait ramer les convicts alors que les galères ont été supprimées depuis près de 52 ans et remplace Toulon par Marseille. Scénaristiquement, cette adaptation est d’ailleurs très faible, inférieure à L’EVADÉ DU BAGNE de Freda et surtout à celle de Raymond Bernard. Les Thénardier passent à la trappe tout comme les 3 évasions de Valjean, Gavroche, Fantine n’est plus prostituée et ne vend plus ses cheveux et ses dents. Elle enfreint juste le couvre feu et se dispute avec un bourgeois. L’’émeute éclate on ne sait pourquoi (plus d’enterrement du général Lamarck ni de mouvement révolutionnaire), les rapports entre Javert et Valjean sont très édulcorés et simplifiés au profit de la romance mollassonne entre Marius et Cosette (Cameron Mitchell et Debra Paget, fort ternes tous les deux). De Milestone mieux vaut revoir LE COMMANDO DE LA MORT (il existe enfin une version restaurée de WALK IN THE SUN), DES SOURIS ET DES HOMMES, voire même OKINAWA dont les qualités plus discrètes rendent le film plus attachant que dans mon souvenir. Milestone fut une des victimes rarement évoquées de la Chasse aux Sorcières.
OLIVER STONE
Il ne faut pas manquer la passionnante série qu’Oliver Stone à consacré à l’Histoire politique de son pays,&sorti dans un coffret avec sous-titres et dans une version papier, uniquement en anglais, passionnante jusque dans ses excès polémiques, des parti pris souvent un peu trop binaires et rapides. Stone n’est pas Marcel Ophüls. Il préfère foncer dans le tas. Le mot « inconnu » (« untold ») n’est pas mis là pour promettre des révélations incroyables mais pour dénoncer la manière dont on enseigne l’Histoire aux USA, de l’école à la télévision commerciale, dont on oublie des pans entiers. Cette mini-série met justement en lumière les souffrances effroyables subies par la Russie durant la Seconde Guerre Mondiale, l’héroïsme de l’Armée Rouge, sujets très sous-estimés, voire occultés en Amérique, tout en pointant les erreurs catastrophiques de Staline, son élimination des principaux généraux, et en dénonçant les crimes commis en Ukraine. Peut être accepte-t-il trop facilement ses explications pour justifier le pacte germano-soviétique. Stone oublie aussi la manière dont le parti communiste a éliminé les anarchistes en Espagne et favorisé l’accession au pouvoir d’Hitler. De Gaulle est quasi absent et le passé meurtrier de Khrouchtchev en Ukraine occulté. On est parfois submergé par l’avalanche de faits souvent passionnants, par le morcellement du montage et la voix un peu monocorde de Stone qui tient à dire que c’est sa vision. S’il loue FDR (tout en notant son refus d’accueillir des juifs), notamment pour sa détermination à imposer Henry Wallace aux caciques du Parti Démocrate, il n’a pas de mots trop durs contre Truman, ignorant, raciste (il écrit à sa fiancée que les nègres sont fait de boue et les Chinois avec ce qui reste), n’écoutant que ses conseillers militaristes, qui décida cyniquement (cela ne servait militairement à rien selon Stone) de larguer les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, pour damer le pion aux Soviétiques qui envahissaient la Mandchourie, donna le feu vert au maccarthysme. Tout cela est juste mais on oublie que Truman fut le premier président à faire du lynchage un crime fédéral (FDR n’avait pas réussi, bloqué par un sénateur sudiste qui devient l’inspirateur de Truman,) et à lancer une action pour les droits civiques. Et contrairement à Staline ou à Mao, il ne créa pas de goulag. Stone, lui, prend parti pour Henry Wallace, le dernier vice-président de Roosevelt, qui selon lui aurait infléchi le cours de l’Histoire mais qui fut d’abord vaincu puis éliminé par Truman. Stone est impitoyable sur la politique extérieure de Nixon, tout en pointant quelques mesures intérieures positives mais se montre encore plus sévère sur Eisenhower, Reagan, Clinton et Obama. Il sauve la dernière partie du mandat de Kennedy et son courage durant la crise des missiles quand il tint tête à tous les chefs militaires, grâce aussi à Khrouchtchev. Pour vous Rouxel, cela vaut mieux que certains nanars chers à votre coeur.
REDFORD
Ces derniers temps, je me suis penché sur l’œuvre de Redford réalisateur. J’ai revu plusieurs de ses films qui tiennent le coup, même si la mise en scène parait parfois (trop?) classique. Elle ne gomme jamais les aspérités du sujet, l’originalité réelle des thèmes, souvent très personnels, et des angles. Le découpage traditionnel n’étouffe jamais le propos et ne l’aseptise pas. Il faut dire que Redford témoigne d’une attention envers ses personnages (et les acteurs qui les incarnent) qui préserve leur mouvement intérieur. Il les regarde avec une impartialité analytique et comme détachée qui surprend et détonne dans le cinéma américain actuel. QUIZZ SHOW, l’une de ses meilleures réussites (hélas uniquement trouvable en zone 1) délivre une morale des plus amères qui bat en brèche, sans ostentation, tous les archétypes dramaturgiques et idéologiques à la Frank Capra et n’offre aucune porte de sortie facile. Relisez la critique de Todd McCarthy et du Guardian.
LA CONSPIRATION dont j’ai déjà parlé ici malgré quelques scènes engoncées aborde un sujet rebattu de manière très originale. Cette enquête sur l’assassinat de Lincoln déboucha sur un procès inique qui renvoie directement à la manière dont le gouvernement Bush piétina les lois et la Constitution soi disant pour combattre le terrorisme. Ce procès d’une femme (Mary Surrat remarquablement incarnée par Robin Wright) fut un scandaleux déni de justice comme le soulignent ses deux avocats, le Sénateur Johnson du Maryland (brillante interprétation de Tom Wilkinson) et Frédéric Aiken, jeune avocat nordiste dont la conduite fut héroïque durant la guerre. Il est d’abord très réticent à défendre une éventuelle complice de l’assassinat de Lincoln mais sera peu à peu touché par sa cliente.
ORDINARY PEOPLE m’a paru meilleur, plus complexe que lors de la première vision et beaucoup moins explicatif. On assiste plutôt à une suite de dénis, de refus d’appréhender la réalité.
Dans AU MILIEU COULE UNE RIVIÈRE, pari hyper audacieux que d’adapter ce très court et génial roman qui mêle la voie du Christ et la pèche à la mouche, Redford semble avoir choisi Brad Pitt pour le rôle de Paul (un choix d’ailleurs excellent) parce qu’ils ont des points communs — sans parler de la ressemblance étonnante de l’acteur avec le cinéaste jeune. Et avec lui, il capture l’essence du livre et en restitue la grâce secrète et l’émotion. Redford, avec la complicité de Philippe Rousselot, réussit à capter toute une gamme de réactions complexes – gestes d’affection réprimés, rivalités, brusques élans retenus, petites déceptions poignantes, sentiments indicibles – qui respectent et traduisent la mystérieuse force émotionnelle du roman. Ce film prolonge ces chroniques provinciales chères à Henry King ou Clarence Brown, leur donne une nouvelle jeunesse, une nouvelle vie.
CINÉMA RUSSE
REQUIEM POUR UN MASSACRE est une œuvre terrible, un coup dans l’estomac. On est broyé devant cette découverte progressive, à travers les yeux d’un enfant, des horreurs commises par les Nazis, la manière dont ils rasent ces villages, anéantissent la population, que Klimov restitue dans des plans très longs, souvent en mouvement, magistraux.
J’ai été un peu moins convaincu par son RASPOUTINE (L’AGONIE) même si l’interprétation d’Alexei Petrenko est inoubliable. Il faut le voir rentrer à quatre pattes dans un ministère, se rouler sur le sol, sauter sur toutes les femmes, prédateur sexuel en folie. On a un peu de mal à comprendre l’ascendant qu’il exerçait sur le tsar, via sans doute son épouse.
L’ASCENSION (Coffret Klimov chez Potemkine, copies restaurées) réalisé par sa femme Larissa Chepitko est tout aussi violent, aussi âpre et rigoureux que REQUIEM dont il constitue une sorte de double inversé et en noir et blanc. L’histoire étant racontée du point de vue de partisans qui se font massacrer et dont certains vont trahir. Pour respirer, mieux vaut se plonger dans AILES belle et sensible réussite de Chepitko, hélas disparue prématurément nous privant d’un regard passionnant.
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