FILM NOIRS OU HORRIFIQUES
THE CAR de Elliott Silverstein. Le film, de loin le meilleur de Silverstein (qui n’a certes pas fait grand-chose d’intéressant ni avant ni après) n’est pas du tout un « démarquage » du DUEL de Spielberg ; les deux films sont profondément différents. THE CAR a de nombreuses qualités qui le placent nettement au dessus des films d’horreur habituels. Je pense entre autres choses à la qualité assez rare des scénaristes, au choix des extérieurs, un ouest profond, immense et vide qui d’emblée crée l’inquiétude, à une fin impressionnante (elle fait parfois penser à la fin de KISS ME DEADLY).
On peut trouver en Italie dans une copie Scope THE BOTTOM OF THE BOTTLE, enfin revu dans une copie non virée surprend durant la première partie par le ton âpre dans sa description du monde des ranchers, où les frustrations remplacent l’amour, où l’on se nourrit de ragots, où l’on trompe son ennui dans d’interminables parties arrosées d’alcool, où une milice se forme en un éclair, qualités repérées par Robert Benayoun. Le scénario contient quelques répliques sarcastiques. Quand Joseph Cotten demande à son frère (Van Johnson, plutôt convaincant en fugitif ivrogne) de l’appeler PM, il réplique : « Un homme qui veut qu’on l’appelle par ses initiales doit être mort de peur devant le scandale. » Ce mélange de satire sociale, de mélodrame et de fable morale inspire Hathaway pendant cette première partie d’autant que Lee Garmes fignole des plans raffinés, magnifiques, jouant sur les sources de lumière multicolores, les reflets, les néons et surclassant John Alton sur son propre terrain. La mise en scène utilise avec brio, les zones d’ombres, les plans nocturnes, filme magistralement les extérieurs. Mais le scénario de Sidney Boehm devient verbeux, explicatif, avec des manques (la frustration sexuelle de Ruth Roman). La transformation des deux protagonistes paraît téléphonée, maladroite (d’ailleurs Cotten reste aussi tendu et énervé quand il est censé redevenir humain) et finalement édulcore le roman de Simenon.
Je conseille très chaleureusement malgré l’absence de sous-titres la série THE WHISTLER, soit dans le coffret non restauré (copies correctes, une moyenne) et pas trop cher, soit dans les versions restaurées. Il s’agit sans doute de la série la plus étrange qui ait été produite. Tous les épisodes sont introduits par une ombre et un air sifflé : « Je suis le Siffleur et je marche la nuit. » A noter que ce siffleur qui apparaît parfois dans un épisode ne joue aucun rôle sauf dans le premier où il fait avorter une tentative de meurtre sans raison logique. Tous les épisodes (sauf le dernier) sont joués par le même acteur, Richard Dix, chaque fois dans des personnages différents et qui ont en commun leur incroyable malchance, leur côté dépressif, maniaque, paranoïaque et les choix calamiteux qu’ils font dans toutes les circonstances. William Castle créa la série et dirigea plusieurs titres dont le meilleur épisode, MYSTERIOUS INTRUDER. Mais tous, à commencer par le George Sherman et les Castle, sont plaisants, bien photographiés. THE WHISTLER fut plusieurs fois refait, notamment par Kaurismaki (J’AI ENGAGÉ UN TUEUR).
Kino vient de sortir une flopée de films noirs, hélas sans sous-titres. Certains étaient quasi invisibles. Il y a des chefs d’œuvres comme PITFALL de De Toth (se précipiter malgré l’absence de sous-titres), des réussites visuellement impressionnantes comme THE CAPTIVE CITY de Robert Wise (dont j’ai revu CIEL ROUGE, western noir et violent, avec beaucoup de plaisir) qui utilise avec brio des objectifs lui permettant de faire le point au premier plan et dans le fond de l’image. Jacques Lourcelles loue le réalisme qui débouche sur une impression de fantastique.
J’avais toujours évité HELL’S HALF ACRE de John H Auer malgré l’intérêt que j’éprouvais pour cet étrange cinéaste (j’ai revu avec plaisir TAM TAM SUR L’AMAZONE). Même vu en Blu-ray, le film se révèle plat et assez languissant. Un ou deux plans joliment composés mais aucun suspense et une réalisation assez molle. Mieux vaut voir son chef d’œuvre, CITY THAT NEVER SLEEPS (TRAQUÉ DANS CHICAGO), une de ses rares productions tournées en extérieurs réels même s’il est clair qu’il filme les rues de Chicago comme si c’étaient des décors « tournés la nuit sous une immense tente ». Nous avions oublié de dire que le film est commenté, idée originale, par la Ville. Ce film que nous défendons dans 50 ANS a un narrateur original puisqu’il s’agit de la Ville.
Un chef d’œuvre vient enfin de sortir en Blu-ray. Il s’agit de TRY AND GET ME, titre alternatif de SOUND OF FURY de Cy Enfield, cinéaste sur qui Brian Neve a écrit un livre excellent, THE MANY LIVES OF CY ENFIELD. Pierre Rissient avait sorti ce film magistral dans les années 60 ( FUREUR SUR LA VILLE) qui s’inspirait du même fait divers qui avait été utilisé par Lang et ses scénaristes pour FURY. Sauf que chez Enfield, les prisonniers qu’on va lyncher sont coupables de crimes odieux et cela rend la dénonciation du lynchage plus forte, plus terrible, plus lucide. Admirable interprétation de Lloyd Bridges et Frank Lovejoy. Il faut du coup redécouvrir aussi UNDERWORLD STORY et ses films anglais HELL’S DRIVERS et ZULU.
Autre sortie en Blu-ray aux USA, STORM FEAR le premier film dirigé par Cornel Wilde, est aussi le premier scénario de Horton Foote (TENDER MERCIES, TO KILL A MOCKINGBIRD). Cette histoire de malfaiteurs retenant en otage une famille dans les montagnes de l’Etat de New York, retient l’intérêt pendant les quarante premières minutes. Elle est soutenue, de plus, par une belle musique d’Elmer Bernstein. Pour une fois, on fait jouer à Dan Duryea un écrivain raté, jaloux et enrhumé et non un des sempiternels gangsters et il est étonnant de vulnérabilité. Lee Grant, que Wilde imposa bien qu’elle soit sur la liste noire, est grandiose en fille à gangsters qui essaie d’être sympa. Steven Hill possède une présence et un physique très inquiétants. Jean Wallace a des moments de sincérité touchants qui, faisant oublier ses maladresses, renvoient à des actrices bergmaniennes. Le principal problème est Wilde lui même pas assez dur ou violent. Et le film peu à peu se délite quand on passe en extérieurs, souvent mal filmés. Les conventions reprennent le dessus.
HIDDEN FEAR, tourné en Suède par de Toth est ultra décevant, au scénario flou. Il n’y a aucune urgence, aucun ressort dramatique. Seul point positif, l’importance incroyable des extérieurs.
WITNESS TO MURDER, malgré John Alton, Barbara Stanwyck et George Sanders est une daube. Un scénario informe, avec d’énormes ficelles et une réalisation télévisuelle du platounet Roy Rowland.
UN FILM ANGLAIS
THE DIVORCE OF LADY X de Tim Wheelzn est agréable, pas mal écrit, bien joué. Et avec des couleurs et des décors très plaisants. Ce fut une mini surprise (je ne savais même pas qu’il était en couleur).
FILMS FRANÇAIS
Beaucoup de sorties passionnantes chez René Château, notamment LES MUTINÉS DE L’ELSENEUR de Pierre Chenal (scénario de Marcel Aymé d’après Jack London que je voulais voir depuis si longtemps). De nombreuses séquences montrent qu’on a affaire à un vrai metteur en scène : les plans longs, au début, avec ces mouvements d’appareil qui circonscrivent le décor et imposent une atmosphère. Le Vigan est absolument génial en marin pinailleur, sur de ses droits, titre au flanc, menteur et manipulateur. L’ensemble de la distribution est remarquable (Berley en brute, Bergeron, Genin) et n’achoppe que sur Jean Murat et dans le dernier quart un manque de progression dramatique.
LA SOUPE A LA GRIMACE est un curieux film noir de Jean Sacha, avec des plans très composés. Tout le monde y compris Noel Roquevert joue des Américains et la fin, désenchantée, a des accents hustoniens.
L’ENVERS DU PARADIS est une œuvre typique des qualités et des défauts de Gréville, cinéaste que j’aime tant. Des péripéties de roman photo (la jeune fille tuberculeuse) côtoient des élans poétiques, des audaces, des raccourcis et une description annonçant le Saint Tropez de la décennie suivante. J’ai été touché en revoyant cette œuvre qu’on avait découverte avec son auteur.
LA VIE EN ROSE de Jean Faurez est un film remarquable : un scénario fort, audacieux de René Wheeler, admirablement dialogué par Henri Jeanson (« je n’ai pas la mémoire des oui » dit Salou dans un moment giralducien qui va bientôt se retourner). Deux visions, deux histoires, deux réalités. Et un travail probe, franc de Jean Faurez. A redécouvrir.
LA JEUNE FOLLE me laisse indécis. Visuellement, le film contient de beaux plans et fait preuve d’ambition. Il n’est pas à la hauteur de MANÈGES. Mais je trouve comme souvent chez Allégret la dramaturgie pesante et inerte et les personnages finalement pas vraiment intéressants, surtout celui que joue Vidal.
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