Chronique n°9

17 juillet 2006 par - DVD

Zone 1 Chez Kino (http://www.kino.com/), de très nombreux films indispensables. Tout d’abord quelques Douglas Sirk : Lured (1947 – Des Filles Disparaissent), excellent remake de Pièges (1939, que tourna en France Robert Siodmak), d’une grande invention visuelle (la copie est très bonne) avec son tueur qui cite Baudelaire (« cet homme est un malade » dit le chef de police).Citons également La Habanera (1937) l’un de ses meilleurs films allemands avec Paramatta, Bagne de Femmes (1937). Et, bien sûr, A Scandal in Paris (1946) où George Sanders, remarquable dans Lured, campe un Vidocq inoubliable (« Je viens d’une famille pauvre et honnête…Enfin, plus pauvre qu’honnête » nous dit le commentaire qui ouvre le film, l’un des favoris de Sirk). Le scénario d’Ellis St Joseph, qui travailla avec Duvivier (Flesh and Fantasy – 1943) et, sans être crédité, avec Renoir (Le Fleuve – 1951) est très inventif avec des dialogues d’une ironie percutante : lors d’un dîner, les convives évoquent avec effroi le cadavre d’un homme égorgé que l’on a trouvé dans les environs. On demande son avis à Sanders qui déclare : « Ce qu’il y a de plus répugnant, c’est que l’individu qui a utilisé son couteau pour commettre un tel meurtre est capable de manger avec ».

Autre nouveauté chez Kino : House by the River (1950) l’un des Fritz Lang les plus rares, qui ne sortit jamais en France, sauf en 1979 à la télévision grâce à Patrick Brion… Ce film « entame la dernière période américaine de Lang, celle où le cinéaste va aller jusqu’aux limites extrêmes de son génie, dont les applications se confondent avec une exploration systématique, menée plus loin qu’aucun cinéaste ne l’a fait avant lui, des pouvoirs du cinéma » (Jacques Lourcelles). Ce DVD est présenté et commenté par Pierre Rissient.
On peut aussi voir une jolie comédie de William Wyler, The Good Fairy (1935) écrite par Preston Sturges et surtout Counsellor at Law (1933) est un Wyler exceptionnel, d’une incroyable énergie, avec une mise en scène fluide. C’est l’un des rares films où l’on sent réellement le génie de John Barrymore, tant vanté par les critiques de théâtre. À découvrir d’urgence.

Le metteur en scène Vincent Sherman (qui joue dans l’opus cité ci-dessus), vient juste de mourir à l’âge de 100 ans. Il est temps de découvrir certains des films de ce cinéaste cultivé, intelligent qui avait été, durant Roosevelt, préféré à Losey pour diriger le Federal Theatre. Il fut mis durant quelques années sur la liste grise pour ses opinions politiques très progressistes. Il faut voir Underground (1941), l’une des premières œuvres anti-nazies (je n’ai pas vérifié la qualité du transfert) et surtout ces deux réussites incontestables que sont Mr Skeffington (1944, avec sous-titres français), magnifique mélodrame sur fond d’antisémitisme superbement écrit par les frères Epstein (que dans ses mémoires Bette Davis rebaptise Mrs Skeffington) et où Claude Rains est superbe, et Old Acquaintance (1943, également sous-titré en français) avec encore Bette Davis et Miriam Hopkins. On sait que la mésentente entre les deux stars (qui sert le propos du film et provoque une réaction très violente de Davis) causa un dépassement de plusieurs dizaines de jours. Le scénario très astucieux récupère les conventions du genre et s’en nourrit avec une verve qui le rend très supérieur au remake de George Cukor, Riche et Célèbre (1981). Autre réussite, surtout dans sa deuxième partie, The Damned don’t Cry (1950, sous-titres français) avec Joan Crawford. On espère que sortira bientôt le magnifique The Hard Way (1943), le meilleur film de Sherman, brillamment écrit par Daniel Fuchs.

Dans la catégorie curiosité, on peut voir avec plaisir The Man from Planet X (1951, sous-titres français) de Edgar G. Ulmer, film de science fiction au budget plus que dérisoire, tourné en 6 jours, en utilisant des éléments de décors de la Jeanne d’Arc (1948) de Victor Fleming (la tour qui abrite le laboratoire). Ulmer parvient néanmoins à imposer une réelle dignité visuelle, noyant dans le brouillard l’absence de moyens, les maquettes qu’il filme avec des travellings et des mouvements de dolly. Les éclairages sont souvent soignés (on devrait un jour étudier ce genre d’ambition, de recherches qui s’apparente à la fierté personnelle puisque ces films n’étaient pas vus, en principe, par ceux qui pouvaient les remarquer) et Ulmer multiplie les contre-plongées pour cacher la misère des moyens. Si l’on retire quelques plans de discussion devant des photos agrandies, il ne doit pas y avoir plus de 5 lieux différents dans tout le film. Il finit par créer une atmosphère onirique, un climat de désolation très personnel et peu en accord avec les canons du genre à l’époque. L’extraterrestre, notamment, dégage une rare tristesse que décuple l’expression unique de son masque lui tenant lieu de visage. Cela dit Ulmer ne parvient pas à surmonter le point de départ et la résolution du scénario (écrit par les producteurs), moments assez benêts, même si la dernière réplique rachète ces conventions. Détail amusant, cette production minimaliste est diffusée par MGM. Le simple plan du lion doit être supérieur au budget du film.

Il faut absolument revoir d’autres Ulmer : notamment le remarquable Pirates of Capri (1949) restauré par la cinémathèque française où pour une fois il disposa de moyens importants, The Strange Woman (1946), auquel François Truffaut trouvait des accents mauriaciens, qui est couplé avec un film entièrement joué par des noirs, avec une sobriété exempte des mimiques oncletomistes en vogue à l’époque. C’est la principale et seule qualité de Moon over Harlem (1939), production misérable et bavarde – trois décors construits dans un garage et des plans d’enseigne – tournée, paraît-il, en deux jours et demi. On y entrevoit Sidney Bechet.
Viennent de sortir aussi à un prix un peu cher, deux de ses films en yiddish, The Light Ahead (1939) et Green Fields (1937) qui contiennent tous deux des moments dignes de Murnau. Une scène d’amour sur un banc, près d’un réverbère, est particulièrement inoubliable (The Light Ahead). Les premiers plans de Green Fields sont d’une mélancolie tout à fait poignante, sentiment d’ailleurs qui émane également de The Light Ahead. Le héros de Green Fields, ce jeune homme qui veut devenir rabbin, dégage une tristesse aussi grande que l’extraterrestre de The Man from Planet X. Les deux films parlent d’ailleurs du déracinement, du désir d’apprendre, de l’importance de la terre et de ce qui y pousse, des élans amoureux contrariés par des pères querelleurs, têtus et figures souvent cocasses qui sont prises à partie par leurs femmes et leurs filles.
Dans les suppléments, on peut entendre l’interview accordée par Ulmer à Peter Bogdanovich, le seul avec celui que j’ai réalisé avec Luc Moullet que l’on trouve dans Amis Américains (Collection Institut Lumière / Actes Sud).

Deux autres opus ulmeriens : Strange Illusion (1945) dont son auteur nous avait dit qu’il annonçait Psychose (1960). Je n’ai pas trouvé le moindre rapport avec le film d’Hitchcock. En revanche la trame de ce curieux petit film noir s’inspire nettement d’Hamlet. Tomorrow we Live (1942), autre œuvre criminelle est nettement plus zozo. Cette histoire de racket que subit un propriétaire de boite de nuit, située en plein désert (des années avant Las Vegas), se double d’un conflit familial gratiné. Dès qu’il y a plus de quatre figurants et trois tables, on sait qu’on a affaire à un stock-shot(1). A la fin, pour des raisons qui restent nébuleuses, l’héroïne sort du club après avoir tué le gangster et se retrouve devant un régiment de l’armée américaine avec chars et camions qui la salue. Ulmer coupe alors sur une jeep perdue dans le désert, le reste de l’armée ayant disparu entre deux collures(2), d’où émerge le jeune premier.

On peut se procurer via Internet (http://www.fnac.com/ ou http://www.amazon.fr/) The Medium (1951), à ma connaissance le premier opéra filmé par son auteur, Gian Carlo Menotti. Cela faisait des années que je voulais voir ce film qui était sorti au Vendôme. La mise en scène de Menotti est souvent brillante, avec un découpage très élaboré, une magnifique photographie d’Enzo Serafin, de beaux décors de Georges Wakhévitch. J’ai trouvé Marie Powers très puissante dans le rôle-titre, Anna Maria Alberghetti, belle et touchante dans celui de Monica (qui la double vocalement ?). Le livret de Menotti est presque aussi prenant que celui du sublime Tour d’Ecrou de Benjamin Britten. L’orchestre est dirigé par Thomas Schippers. Il n’y a malheureusement ni sous-titres ni bonus et ce qui tient lieu de fiche technique ne comporte même pas de synopsis.

I Walk the Line (1970, sous-titres français, pas de bonus) fait partie de ces œuvres personnelles, originales et fortes que tourna à une époque John Frankenheimer. Cette chronique provinciale ponctuée de plans de visages évoquant les photos de Walker Evans, rythmée par les chansons de Johnny Cash, nous raconte une histoire d’amour malheureuse. On découvre une Amérique rurale rongée par les préjugés, le racisme, le conformisme où essayent de survivre des familles de pauvres blancs bouilleurs de crus et trafiquants. Frankenheimer oppose ces solitudes à de somptueux paysages qu’il filme avec de magnifiques mouvements de grue. Il y a une telle volonté de casser les poncifs hollywoodiens, d’instaurer un climat âpre et mélancolique qu’on ne peut qu’admirer le courage quasi suicidaire des auteurs. Voilà un genre de films impensables dans le cinéma américain actuel. Excellente interprétation de Tuesday Weld, Ralph Meeker et de Gregory Peck auquel Frankenheimer aurait préféré Gene Hackman. Chef d’œuvre.

Chez VCI Entertainment (http://www.vcientertainment.com/), compagnie spécialisée dans les serials (le dernier sorti est Jungle Girl de John English et William Witney) et les westerns (on y trouve plusieurs titres majeurs de Dwan : Silver Lode, Tennessee’s Partner, Passion, Slightly Scarlet), deux raretés : High Lonesome (1950 – La Vallée du Solitaire) écrit et réalisé par Alan Le May qui traîna des années dans la revue Arts avec deux étoiles données par Truffaut. C’est un western assez bizarre qui lorgne du côté de Pursued (1947 – La Vallée de la Peur) de Walsh, des Furies (1950) de Anthony Mann, mais qui est raconté, filmé avec une absence de tension dramatique, un amateurisme, une nonchalance qui gomme les clichés, les canons, le formatage du genre. Cette apparence de liberté dut plaire à Truffaut et donne au récit une certaine fraîcheur, en dépit du jeu exécrable de John Barrymore Jr (plus supportable dans la dernière partie). On y voit pour la première fois Jack Elam qui était le comptable du producteur George Templeton. La résolution de l’intrigue est médiocre et digne d’un serial. Les extérieurs (filmés dans 6 ranchs texans cités au générique) sont marquants tout comme la photo de Winton Hoch. Certains plans nocturnes sont vraiment filmées de nuit avec une véritable audace ou inconscience.
The Sundowners (1950), de George Templeton, toujours écrit par Le May, et tourné avec la même distribution avec en plus Robert Preston, dans les mêmes ranchs, est plus classique mais mieux dirigé.

Dans la rubrique Trésors que l’on croyait disparus, signalons les deux DVD intitulés Hidden Hollywood (1997) de Kevin Burns, disponibles chez Image (http://www.image-entertainment.com/) qui contiennent des séquences coupées des films Fox dont la scène avec W.C Fields de Tales of Manhattan (1942) de Julien Duvivier.

Criterion (http://www.criterionco.com/) vient d’éditer une belle version restaurée de The Devil and Daniel Webster (1941) la réalisation la plus ambitieuse de William Dieterle, que l’on voyait auparavant dans une copie amputée de 22 minutes. Ils ont rétabli les scènes de discussions politiques, les prises de position de Daniel Webster en faveurs des paysans endettés. Walter Huston joue le diable (« appelez-moi Scratch », dit-il). Et surtout la version définitive de Mr Arkadin (1955) d’Orson Welles. En combinant plusieurs négatifs et internégatifs, trouvés en France (le négatif et l’inter qui présentaient des différences), en Espagne (avec des séquences jouées par des acteurs différents), aux USA (la version dite Corinth), nous avons le droit à la version que l’on pense être celle de Welles avec deux versions alternatives. Par exemple dans la version dite espagnole, Katina Paxinou est remplacée par une comédienne ibérique. Les amateurs de Welles se rueront sur ce trésor.

(1) Stock-shot : Images d’actualité empruntées à des documents d’archives et insérées dans un film.
(2) Collures : Joint entre deux bandes cinématographiques réalisé par collage.

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Commentaires (4)

 

  1. MB dit :

    à Bertrand: j’ai eu du mal à voir tout PIRATES OF CAPRI de Ulmer, le dvd n’a pas de s-titres et l’image offre un effet « peigne » qui n’est pas le fait des coups d’épée (jai pu contourner ça avec un petit logiciel mais l’image reste floue). Je me suis amusé quand même et la séquence du ballet la deuxième est inoubliable. Une question: vous ne diriez pas que ce film est un petit budget? Ils ont même eu un vrai vaisseau, les costumes sont bien, les acteurs sont nombreux et très à l’aise, plein de décors etc.?

    • MB dit :

      PIRATES OF CAPRI: je viens de trouver ça sur la page du 2 mars 2015, vous répondez à ma question ci-dessus!
      « un de ceux, avec THE STRANGE WOMAN, CARNEGIE HALL et LE PIRATE DE CAPRI, où il bénéficia d’un budget sinon considérable du moins très suffisant « 

    • Bertrand Tavernier dit :

      A MB
      je n’ai jamais dit que c’était un petit budget. Ulmer brusquement a eu certains moyens pour THE STRANGE WOMAN, RUTHLESS et PIRATES OF CAPRI. Pourquoi seulement là et plus après, on se perd en conjoncture. Mais HANNIBAL qui est nul avait des moyens( mais on se demande ce qu’Ulmer a tourné) et L’ATLANTIDE aussi où il remplaçait Borzage au désespoir de Jean Louis trintignant

      • MB dit :

        à Bertrand: je n’ai jamais dit que vous aviez dit que… sinon je ne connaissais pas l’existence d’un ATLANTIDE avec Trintignant, joli titre original: ANTINEA, L AMANTE DELLA CITTA SEPOLTA!… Ulmer dit qu’il était amoureux de Trintignant, comme de Manuel Iglesias dans NAKED DAWN…

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