Chronique n°23

2 janvier 2009 par - DVD

Classe tous risquesJ’ai des rapports très particuliers, très personnels avec ce film. J’éprouvai un choc quand je le découvris et c’est sur lui que j’écrivis ma première critique. Un article court, à la demande du rédacteur en chef, sans doute superficiel – j’étais jeune -, mais laudateur qui se terminait par cette phrase : « j’entends dire que Classe tous risques est un film de série B mais un B comme Boetticher vaut mieux qu’un A comme Allégret.
Ce n’est pas par hasard que je faisais référence au réalisateur de 7 men from now. Sautet partageait avec lui le goût de l’ellipse, de l’épure, la même netteté narrative, la même affection pour les sentiments forts et les personnages marginaux.
Ce premier article fut suivi de ma première interview. Sautet y évoquait, dans les influences qui avaient marqué le film, son amour du western, Rio Bravo par exemple et me dit qu’il avait demandé à Belmondo de voir 7 men from now. Ce fut « le début d’une grande amitié » qui ne connut jamais de nuages ou de fléchissement et ne cessa qu’avec sa mort. Une double amitié puisque quelque temps plus tard, je rencontrai José Giovanni qui lui aussi fit partie de ma vie.
Il fut, avec Jean Pierre Melville, mon parrain dans le cinéma, m’aidant, me prenant sous sa protection, allant trouver mes parents pour les convaincre de me laisser choisir ce métier plutôt que les sciences politiques. Je fus avec Pierre Rissient son attaché de presse et, devenu metteur en scène, je lui faisais lire mes scénarios, lui montrait, tout comme Truffaut et tant d’autres, mes premiers montages. Sautet fut le plus grand « script-doctor », réparateur de montage, du cinéma français. Ses réactions étaient toujours stimulantes. Il mettait instantanément le doigt sur ce qui ne marchait pas et trouvait immédiatement une solution. Il améliora, répara, rabibocha un très grand nombre de films français, en sauva plusieurs du désastre.
En fait, je ne m’écarte pas du sujet. Ces qualités de rigueur, cet esprit synthétique qui ne supprime pas les émotions, bien au contraire, sous-tend ce premier opus, lui donne sa force, son originalité.Une force, une originalité que l ‘on sous-estima lors de la sortie. Il faut dire que le film policier n’avait jamais eu une vraie cote avec toute une partie de la critique française. Les journalistes d’obédience communiste, suivant en cela Georges Sadoul, les éreintaient systématiquement (même Night and the city ou Touchez pas au grisbi pourtant dirigés par des cinéastes proches du Parti), déclarant qu’il valait mieux s’intéresser aux ouvriers, aux boulangers qu’aux gangsters. Les Catholiques y voyaient une menace d’immoralité, un danger pour la jeunesse.
Et puis, le film de Sautet avait été éclipsé par A bout de souffle et tout le crédit de la découverte de Jean Paul Belmondo alla à Godard alors que Sautet avait été le premier à lui donner un rôle vedette.. Il y est magnifique de charme et d’autorité, mélange étonnant de virilité et d’innocence enfantine, dans un registre totalement différent de celui du héros d’A Bout de souffle. Ce qui prouve son talent et son extraordinaire versatilité. J’ai été marqué à vie par la manière dont il se tourne vers Sandra Milo, après avoir assommé l’homme qui la battait, en lui disant, avec un sourire désarmant, inoubliable : « ce que j’ai de bien, moi c’est mon gauche ».
4 décennies plus tard, on réalise que Classe tous risques était tout aussi révolutionnaire qu’A bout de souffle. De manière moins voyante, moins évidente, plus secrète, plus insidieuse. Comme Jacques Tourneur, Sautet renouvelait profondément le genre de l’intérieur, démodant du coup des dizaines de réalisations contemporaines. Après la longue séquence d’ouverture, ces magnifiques plans de gare, ce braquage dans les rues de Milan, il devint impossible d’aborder, de filmer ces péripéties, le comportement des personnages, jusqu’à leur manière de marcher dans la rue comme avant. Il avait réussi à imprégner ces scènes d’action d’une authenticité rigoureuse, leur donnant une vie incroyable, ce qui lui gagna, dit-on, l’admiration de Robert Bresson.
Il faut dire que le film de gangsters, après quelques titres de gloire – Touchez pas au Grisbi, riffifi, sans oublier le désinvolte et inclassable Bob le flambeur,– commençait sérieusement à s’essouffler. Les clichés, la routine le gangrenaient. Les personnages de voyous sonnaient faux, les péripéties paraissaient exténuées, coupées de toute réalité, sans vie ni passion, les réalisations paresseuses, les distributions interchangeables. De temps en temps, on pouvait sauver un titre comme le visuellement brillant Razzia sur la schnouff d’Henri Decoin, Gas oil, le désordre et la nuit de Gilles Grangier, cinéaste modeste qui signa plusieurs réussites Mais dans l’ensemble, on répétait des recettes ressassées depuis les années 30 et le ton devenait rance, aigre.
C’est dans ce contexte qu’apparut José Giovanni qui contribua au renouvellement du genre. José avait connu l’univers de la délinquance de la prison, avait été condamné à mort pour avoir participé à des rackets organisés par son frère et son oncle qui avaient dérapé dans le crime, sans que lui-même ait tué .
Il avait tenté de s’évader de la prison, avait passé plusieurs mois dans la cellule des condamnés à mort, attendant qu’on le guillotine. Il avait été gracié par le président de la république et s’était sorti de ce monde de violence par l’écriture. Son premier livre, Le Trou, écrit sur les conseils de son avocat, racontait sa tentative d’évasion et reçut un accueil enthousiaste de Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Roger Nimier. Jacques Becker en tira un film magnifique dont Giovanni co-écrivit le scénario.
Quelques années plus tard, je montrai à José dont j’étais l’attaché de presse un texte de Gilles Jacob qui, avant d’être le prestigieux président du Festival de Cannes, était un critique influent et perspicace. Il y déclarait que les 3 meilleurs films policiers français étaient Le Trou, Classe tous risques et Le Deuxieme souffle et cherchait le lien entre ces trois œuvres. José lui répondait que c’était peut-être lui le lien, vu qu’il était l’auteur des 3 romans, qu’il avait participé au scénario de deux d’entre eux et que le Deuxième respectait à 98% son dialogue et sa construction.
Giovanni apportait une bouffée d’air dans un cinéma assoupi. On sortait enfin de Pigalle. Les personnages de Classe tous risques essaient de survivre en Italie, puis traversent toute la France, traversée scandée par la magnifique musique de Georges Delerue (Dans cette suite, cette variété de paysages, on sent là aussi l’influence du western). Sa connaissance de la pègre, liée à un sens personnel de la pudeur, lui permet d’éviter bien des clichés et surtout de centrer presque tous ses récits autour de quelques thèmes qu’il traite de manière très émotionnelle : la survie, l’amitié, la hantise de la délation, du compromis. Il fait l’impasse sur le passé des personnages. Seul compte ce qu’ils sont en train de vivre maintenant, dans le présent le plus immédiat. Seul compte aussi leurs rêves : « une école pour les enfants ». Cela prendra plus de vingt ans à Sautet de découvrir que le personnage joué par Lino Ventura est lointainement inspiré par Abel Danos, qui collabora avec la gestapo française, l’infâme bande de Bony et Laffont.
Giovanni a rencontré, par l’intermédiaire de Jacques Becker, Lino Ventura lequel est très intéressé par Classe tous risques. Il propose comme metteur en scène, un assistant très en vue, Claude Sautet, qu’il a rencontré durant le tournage du Fauve est laché dont il était aussi le co-scénariste. Le metteur en scène Maurice Labro détestait Ventura et quitta le film avant la fin. Les scènes manquantes, la poursuite finale, le dernier règlement de comptes, furent tournés par Sautet et rehaussent le niveau. Lino repéra immédiatement son sens du cadre, de l’espace, la manière dont il filmait les acteurs et organise une rencontre avec Giovanni.
« Je lui demandai quelle était la première image qui lui venait à l’esprit, après avoir lu le livre. Il me dit : « Un homme marche dans la rue. Derrière lui, à dix mètres, deux enfants ». Il avait immédiatement mis le doigt sur la colonne vertébrale émotionnelle du film. En une phrase. Je savais qu’il ne pouvait pas le rater ».
L’importance donnée aux sentiments familiaux, aux sentiments tout court éloigne le film des policiers que l’on faisait à l’époque. Sautet tourne le dos aux clichés sans essayer de leur donné une nouvelle vie en s’inspirant du cinéma américain comme Melville dont les décors, les découvertes recopiant les films de Wise ou d’André de Toth. Et il anticipe sur les films qui le rendront justement célèbre, de César et Rosalie à Nelly et Monsieur Arnaud. En fait cette première œuvre, fortement marquée par l’influence d’un remarquable romancier scénariste, est néanmoins un film très personnel, qui annonce ses œuvres ultérieures. Mystère de la mise en scène.
Et Giovanni d’ajouter : « Classe tous risques est le meilleur film adapté d’un de mes livres. Il ne comporte pas de scènes de boîtes de nuit. Il n’est pas folklorique. Et il y a plus de cœur que dans le Deuxièmes Souffle » (in Le poing dans la vitre, éditions actes sud Institut Lumière).
Ce cœur, cette émotion, on la ressent dès la première voix-off, admirable, qui me procure toujours la même émotion 48 ans après, voix-off qui nous donne d’emblée le point de vue d’un personnage, en apparence secondaire qui est en train de sortir de l’histoire. Un personnage de femme, dans ce monde d’hommes, dont le destin va peser sur les héros : « Elle aurait voulu lui conseiller la prudence. Mais à quoi bon. Depuis qu’elle faisait et défaisait les bagages, elle ne parlait plus. Ou presque plus. Les enfants suivaient. Ils ne manquaient de rien. Sauf d’une école »
La voix-off situe ensuite les deux protagonistes et Sautet a l’idée formidable de la placer sur des plans où ils sont filmés de dos, dans la rue tout comme il évite, par la suite, les décors attendus, les lieux conventionnels, liés à la mythologie et aux poncifs du genre. Il préfère les chambres d’hôtel anonymes, les églises, les bureaux de poste. Je pense surtout à cette mansarde sous les toits où se terre Abel, où il rencontre cette petite bonne, personnage si touchant que joue de manière merveilleuse, Betty Schneider. Parenthèse émouvante, dépourvue de sentimentalité, moment de grâce qui, comme de nombreuses autres scènes, échappe à la dictature de l’intrigue, mais qui est indispensable émotionnellement parlant. Et fait encore mieux ressortir l’incroyable rapidité elliptique, épurée de la fin, avec cette voix-off qui vous prend le cœur et annonce Max et les ferrailleurs et un cœur en hiver.
C’est un film qui m’a donné envie d’embrasser l’homme, les hommes qui l’avaient fait et de devenir leur ami.

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Commentaires (36)

 

  1. Edward dit :

    A Bertrand Tavernier : que pensez-vous du documentaire « SOUS LE NOM DE MELVILLE » d’Olivier BOHLER ?

  2. Alexandre Angel dit :

    Soirée Claude Sautet/Romy Schneider pour moi dimanche 16 septembre 2018.
    D’abord MAX ET LES FERRAILLEURS en dvd puis CESAR ET ROSALIE sur Arte dans une très belle copie.
    Je réalise à quel point la redécouverte de ces films infirment les préjugés qu’ils m’inspiraient quand j’étais bien plus jeune.
    Le plaisir que me procurait NELLY ET MONSIEUR ARNAUD en 95 avait pourtant infléchi la donne. Mais il aura fallu le brillant plaidoyer d’un ami en faveur de la filmo, à l’occasion de la parution du premier coffret dvd consacré au cinéaste, en 2002, puis, évidemment, la ferveur de textes comme celui qui constitue la chronique que l’on peut lire ci-dessus (sans parler de VOYAGE), pour que je prenne conscience de la profonde originalité de Claude Sautet, que j’avais assimilé, bien fourvoyé il y a déjà longtemps, à une sorte de Claude Lelouch bis.
    Redécouvrir MAX et CESAR revient à prendre la mesure d’une ampleur auparavant insoupçonnée : celle d’une conception musicale de la mise en scène, dont le scénario ferait figure de partition. Si CESAR ET ROSALIE est un concerto primesautier strié de coups de tonnerre, MAX ET LES FERRAILLEURS est un drame criminel qu’on pourrait presque imaginer être mis en musique par Michel Colombier à la façon d’UNE CHAMBRE EN VILLE (le hiératisme sombre de Michel Piccoli, assez « melvillien », incitant mon imaginaire à un tel vagabondage).
    Voir ces films comme on déchiffrerait une partition permet d’accepter l’artifice, de jouer le jeu d’une dramaturgie un peu arbitraire. Je pense surtout à MAX ET LES FERRAILLEURS dont il faut accepter le côté « excessif » (les motivations de Piccoli, ses manigances tordues, la trop grande beauté de Romy Schneider au milieu de ce gang de « bras casse »..).
    Le ménage à trois de CESAR ET ROSALIE, plus traditionnel, n’en est pas moins soumis au même type de contorsions imposées à la fiction et si c’était moins bien fait, autrement dit, si nous étions en de moins bonnes mains, nous pourrions nous irriter de tant d’arrangement avec la réalité des rapports amoureux et revenir au LOULOU, de Maurice Pialat.
    Mais voilà, la forme est belle chez Sautet, trouvant une respiration interne plus énigmatique et mystérieuse qu’il n’y paraît au premier abord, avec ses éclairages très « ligne claire », ses transparences poétiques lors des trajets en voiture (de celles que l’on trouve aussi chez Bunuel ou Polanski). Somme toute, un mélange de naturalisme et de stylisation qui suscite le désir d’explorer, d’approfondir et de devenir intime avec toute l’oeuvre.

    • MB dit :

      SAUTET: en fait, tout ce qui chez Sautet prend les apparences de l’affèterie, du manièrisme, et même de l’ambition est tout simplement figure de style. On ne critique pas une belle photo, on s’attache à ce qu’elle a pris en objet, par contre on a souvent critiqué chez lui une ambition fumeuse en voyant trop vite l’embourbement généralisé des voitures de MADO comme le symbole de l’enlisement de la société de consommation, non, l’embourbement de MADO fait partie d’un tout stylistique, une façon de raconter, de peindre des caractères, c’est principalement ce qui intéresse Sautet: représenter des personnages, faire une peinture de caractères. Sans l’embourbement des voitures il ne peut représenter cette jeune femme qui chute dans la boue après avoir fait l’amour en douce, par exemple: sa robe est maculée quand à la noce juste avant, elle signalait l’entregent de la jeune femme, quand cette robe si seyante était en accord total avec la foule de la noce. Alors le symbôle de l’enlisement de la société à côté, l’ambition sociale, est bien secondaire dans l’esprit du cinéaste.
      Je vais revoir UNE HISTOIRE SIMPLE, enregistré hier.

    • MB dit :

      dois-je ajouter que donc, il est plus important pour Sautet de signaler deux facettes de la jeune femme ci-dessus (le bal orné de paillettes et le désir orné de boue) que de proposer un point de vue social à coup de symbolisme-massue (l’embourbement des bagnoles, qui pour lui reste un détail), quoiqu’il s’agisse encore de proposer un point de vue social mais disons bien plus concret, à l’échelle humaine ou individuelle.

      • Alexandre Angel dit :

        A MB
        Très curieux de revoir MADO que je n’avais pas aimé et que je n’ai vu que deux fois (dont une très jeune).
        J’ai très envie aussi de revoir NELLY ET MONSIEUR ARNAUD.
        Le coffret Sautet en BR sorti il y a quelques années fait-il autorité?

    • Edward dit :

      Je viens de revoir MAX ET LES FERRAILLEURS et je ne lui trouve rien d’excessif. Au contraire, tout me paraît mesuré et parfaitement maîtrisé. Je n’en avais plus aucun souvenir et j’ai découvert ce qui m’apparaît comme le meilleur film Noir français en couleurs qui semble tout droit sorti d’un roman de James Cain ou de Jim Thompson. Sautet a réussi ce que Delon a essayé de faire dans ses films policiers de la fin des années 70 et du début des années 80 sans jamais réussir à transcrire cette atmosphère typique du Noir. Même Melville n’est pas arrivé à un résultat aussi parfait à mon sens car ses personnages secondaires manquent d’épaisseur. Tous ceux du film de Sautet participent à cette atmosphère de désillusion et d’échec, depuis les commissaires (remarquables Georges WILSON et François PERRIER) jusqu’aux petites frappes qui s’esquintent à voler des bobines de cuivre trop lourdes pour eux sur des chantiers.

  3. Minette pascal dit :

    Le film, découvert hier sur Arte, ne ressemble pas à un premier film. Ce ne sont pas les idées qui manquent et dans tous les secteurs : le « duo » d’amour entre Stark et la jeune femme, resté fluide malgré le coup de sabre de l’ellipse témoigne d’un vrai style.
    Et puis Sautet n’est déjà plus un novice dans la direction d’acteurs. Tout le monde a bossé ses lignes, même les personnages secondaires. Mr Tavernier citait la petite bonne de l’hôtel (Ventura drague un peu, non?), il y a aussi la fille du ponte que le héros tape de plusieurs millions : quelques mots seulement, mais un personnage inimitable est campé.
    Il y a un plan curieux quand Stark descend de son ambulance dans un village. Celle qui deviendra son amie un peu plus tard soulève un rideau et le regarde. Pourquoi avoir eu besoin de ce contact anticipé, furtif et unilatéral ? Ils auraient pu se croiser, simplement, elle déjà malmenée par sa brute…
    Abel Davos, criminel endurci, jetant une bouée au marin semble un peu forcé comme geste. Mais il faut bien s’attacher sans réserve à lui. Comme Dans les GRANDES GUEULES, où Lino aura toutes les apparences de l’honnêteté.
    Dans ce dernier film, pourtant, le taulard à l’air libre fait parfois froid dans le dos, tordu et irrécupérable. A côté, Riton De la Porte n’a pas l’air bien méchant.

    • Martin-Brady dit :

      Dans CLASSE TOUS RISQUES ce qui m’a frappé c’est l’incroyable tristesse, l’incroyable désespoir, la dernière phrase en voix off est redoutable. C’est un concentré de tragique et de fatalité.

      • Minette pascal dit :

        Pareil pour moi. J’ai pensé à cette phrase de Hugo sur la vie, « la longue perte de tout ce qu’on aime. »
        Une des choses les plus particulières de ce film, c’est l’importance donnée aux femmes. Aucun personnage féminin n’est anodin, même le plus secondaire.

  4. Jacques Leclerq dit :

    Cher Bertrand Tavernier,
    je profite de votre éloge de CLASSE TOUS RISQUES pour vous demander pourquoi un romancier et scénariste de la trempe de José Giovanni ne jouit-il pas d’une meilleure considération en tant que cinéaste ?
    Il me semble que LA LOI DU SURVIVANT, LE RAPACE, DERNIER DOMICILE CONNU et DEUX HOMMES DANS LA VILLE sont d’incontestables réussites.
    J’ai aussi beaucoup d’affection (grâce aux acteurs) pour LA SCOUMOUNE, LE GITAN ou LE RUFFIAN qui ont bercé ma jeunesse.
    Je trouve que pour un cinéaste aussi mésestimé, il fut un remarquable directeur d’acteurs, et pas n’importe lesquels : Delon, Ventura, Gabin, Belmondo camisetas promocionais
    Vous qui l’avez cotoyé, a-t’il souffert du statut de « scénariste de grands films » mais « petit réalisateur » ?

    • Bertrand Tavernier dit :

      A Jacques Leclerc, José que j’adorais était avant tout un scénariste et la mise en scène pouvait être chez lui illustrative. Mais vous avez raison les trois premiers titres que vous citez sont remarquables. Je les avais défendu d’ailleurs comme attaché de presse. Il a eu des rapports difficiles avec Gabin qui n’avait pas de considération pour lui, conflictuel parfois avec Delon (LE GITAN, LE RUFFIAN sont très academiques et moins personnels) et il a tourné des films qui ont moins marqué que ses premiers (UNE ROBE NOIRE POUR UN TUEUR et d’autres comme ce film avec plein d’acteurs qui vont liquider un groupe de terroristes). Vous oubliez UN ALLER SIMPLE dont je garde un bon souvenir et il y a des moments très émouvants dans MON PERE et OU EST PASSÉ TOM ?. C’était aussi un très bon écrivain (le TROU, c’est formidable)

  5. Olivier Douarre dit :

    Cher Bertrand Tavernier,
    je profite de votre éloge de CLASSE TOUS RISQUES pour vous demander pourquoi un romancier et scénariste de la trempe de José Giovanni ne jouit-il pas d’une meilleure considération en tant que cinéaste ?
    Il me semble que LA LOI DU SURVIVANT, LE RAPACE, DERNIER DOMICILE CONNU et DEUX HOMMES DANS LA VILLE sont d’incontestables réussites.
    J’ai aussi beaucoup d’affection (grâce aux acteurs) pour LA SCOUMOUNE, LE GITAN ou LE RUFFIAN qui ont bercé ma jeunesse.
    Je trouve que pour un cinéaste aussi mésestimé, il fut un remarquable directeur d’acteurs, et pas n’importe lesquels : Delon, Ventura, Gabin, Belmondo …
    Vous qui l’avez cotoyé, a-t’il souffert du statut de « scénariste de grands films » mais « petit réalisateur » ?

    • Bertrand Tavernier dit :

      A Olivier Douarre
      Je crois honnetement que José était meilleur écrivain que réalisateur. Sur le plateau, il était moins créatif que face à sa page blanche. Il se lassait vite tout en se passionnant pour certains moments qu’il soignait (l’ouverture du Rapace, son film le mieux réalisé, la bagarre dans la rue de DERNIER DOMICILE). Cela n’empêche plusieurs de ses film d’avoir de réelles qualité, les trois premiers que vous citez. Je n’ai pas revu DEUX HOMMES qui m’avait paru émouvant mais un peu routinier visuellement. En revanche, j’ai gardé un très bon souvenir de certains moments d’UN ALLER SIMPLE, tout en sachant que Pierre William Glenn et Alain Corneau ont joué un rôle important dans ces scènes nocturnes bien filmées. Mais José était un vrai auteur et on lui doit outre ses adaptations des scénarios intéressant. .C’est un homme que j’aimais beaucoup. Avez vous vu MON PERE, une opeuvre qui lui ressemble malgré ses défauts

      • Olivier Douarre dit :

        Bonjour,
        je comprends que vous aimiez Giovanni, ses scénarii pour Robert Enrico exaltent d’authentiques valeurs humaines qui ont disparu aujourd’hui, et que l’on pouvait retrouver chez Howard Hawks notamment.
        Revu récemment, DEUX HOMMES DANS LA VILLE est effectivement pauvre visuellement mais la force du sujet (8 ans avant l’abolition de la peine de mort par Badinter) et la performance sobre et magnifique de Gabin, Delon et Bouquet, emportent largement l’adhésion.
        Je n’ai malheureusement pas vu MON PERE mais je garde un trés bon souvenir de MON AMI LE TRAITRE et de la prestation de Thierry Fremont trop rarement employé aujourd’hui (sauf dans des téléfilms où il excelle).
        Vous parlez aussi de Jean-Pierre Melville dont les rapports avec Lino Ventura furent exécrables sur LE DEUXIEME SOUFFLE et qui accepta, parait-il, de tourner L’ARMEE DES OMBRES, uniquement sur la demande de Giovanni avec qui il entretenait une solide amitié. Est-ce vrai ?

        • Bertrand Tavernier dit :

          A OLIVIER DOUARRE
          Vous vous trompez. Les rapports Ventura Melville se détériorèrent APRÈS LE DEUXIEME SOUFFLE pour des propos que Melville tint dans une interview, je crois. Et Giovanni était au plus mal avec Melville et n’aurait pas pu jouer l’influencer pour l’ARMÉE DES OMBRES. Le contrat était signé avant la brouille et Ventura fit le film sans parler à Melville

        • Olivier Douarre dit :

          Cher Bertrand Tavernier, merci de la rectification, mes souvenirs s’étaient embrouillés. Effectivement, Melville et Ventura communiquaient par personne interposée sur L’ARMEE DES OMBRES. Quand on voit le résultat final et l’immense interprétation de Lino, on en reste pantois.
          Je me demande si José Giovanni, moins intéressé par la réalisation, n’avait pas trouvé en Robert Enrico son alter-ego cinéaste, le plus apte à filmer ses histoires. La réussite des AVENTURIERS et surtout des GRANDES GUEULES plaide en sa faveur.

        • Bertrand Tavernier dit :

          A OLIVIER DOUARRE
          Il aimait les GRANDES GUEULES et le travail d’Enrico sur ce film et les AVENTURIERS. Pas du tout sur HO et quand même, malgré leur haine réciproque, pensait que Melville était un plus grand metteur en scène. Mais son préféré restait Sautet

  6. natglick dit :

    Comme son autre film avec Tommy Lee Jones, Rules of engagement, The Hunted n’est pas le Friedkin que je préfère même si comme vous le soulignez, il est brillamment réalisé…son scénario n’est malheureusement qu’un ersatz de Rambo. Je trouve que son remake du Salaire de la peur, Sorcerer est injustement méconnu ( vous en dites d’ailleurs du bien ) et j’admire énormément To Live and Die in L.A. film très en avance sur son temps et très supérieur à The French Connection et que vous n’avez pas l’air d’apprécier beaucoup. Je vous dois récemment d’avoir découvert The friends of Eddie Coyle, que j’ai acheté dans la belle collection Criterion et qui m’a beaucoup impressionné de la part du réalisateur de Bullitt, un film que par contre je n’aime pas beaucoup ( son scénario est absolument incohérent ). Pour finir sur The Exorcist, vous dites avoir du mal avec les 30 dernières minutes du film, qu’en est-il des trentes dernières de The Heretic, qui sont pour moi incompréhensibles ( en tout cas dans la version DVD zone 1 que j’ai vue ). J’ai beaucoup goûté votre hommage ( voulu ? involontaire ? ) à The Shining à la fin de In the electric mist, où vous retrouvez un ton proche de Ambrose Bierce.

  7. A natglick :
    Il y a des Friedkin que j’aime beaucoup, certains qui sont sous
    estimés mais j’ai du mal avec le dernier tiers de THE EXORCIST. J’ai vu récemment HUNTED, brillamment réalisé sur un sujet qui est épuisé après 30 minutes. Jean Pierre Coursodon aime bien son remake de 12 ANGRY MEN

    • Ballantrae dit :

      Friedkin au bout du compte est un cinéaste qui reste même si ses ambiguités peuvent ne pas le rendre sympathique…
      Pour ce qui est de L’exorciste, je pense que votre « aversion » (le mot est peut-être trop fort) pour l’horreur explicite vous empêche d’en goûter l’innovation absolue tant pour le rapport au réalisme(la découverte de l’arrière cour, les scènes d’hôpital comme l’intermède archéologique sont toujours aussi impressionnants) que pour l’intelligence perverse du choix de la monstration. Il y a manipulation certes mais du moment que c’est intelligent, esthétiqument accompli why not?
      French connection et to live and die in La sont deux polars qui comptent, qui imposent d’entrée de jeu des options esthétiques fortes:toujours ce behaviourisme qui flirte avec l’onirisme (la photo de R Muller pour le second est vraiment magnifique et tranche avec le tout venant des 80′, décennie pauvre en grands polars, la poursuite est hallucinante et sans cesse surprenante, sans parler d’une fin nihiliste qu’aurait pu imaginer Fuller).
      Cruising est terriblement malaisant, parfois maldroit et outrancier mais il s’impose dans la mémoire.Bug est un grand film d’une économie de moyens admirable pour susciter là aussi un déréèglement des repères vertigineux (avec un M shannon aussi génial que dans shotgun stories, grand premier film au même titre que Little Odessa).
      Je comprends vos réserves mais ne les partage pas comme pour M Mann ou J Carpenter qui sans être des génies n’en ont pas moins créé une oeuvre qui s’impose adsn le pyasage cinématographique!

    • Damien DOUSSIN dit :

      D’accord avec Jean-Jacques pour ne pas laisser aux oubliettes un certain cinéma d’horreur. Il serait tout de même dommage de négliger certains films, même si par exemple, certaines scènes de L’EXORCISTE sont tout de même assez outrées… Pour rester dans le genre, il y a effectivement des John Carpenter qui sont très bien : ASSAUT et HALLOWEEN cultive une certaine originalité dans l’onirisme en faisant oublier les effets gores. La première partie d’HALLOWEEN où le tueur apparait et disparait dans les jardins de la zone résidentielle est tout à fait exemplaire..

  8. natglick dit :

    Cher Bertrand Tavernier
    Pour moi, vous êtes avant tout l’un des plus grands critiques cinématographiques que j’aie jamais lus. 50 ans de cinéma américain et Amis américains sont des livres que je relis sans cesse et je ne compte plus les films que j’ai découverts et aimés grâce à votre enthousiasme si communicatif.
    Après on peut toujours discuter, j’ai toujours trouvé que vous étiez trop sévère avec un cinéaste comme William Friedkin dont j’ai découvert l’oeuvre récemment et que je trouve assez passionnant. Contrairement à vous, je ne trouve pas que « The French Connection » et  » The Exorcist » aient à pâlir devant leurs suites signées Frankenheimer et Boorman ( même si j’aime assez ce monument de mauvais goût qu’est « The Heretic », qui comporte dans ses scènes éthiopiennes, d’assez beaux hommages au Powell de « Black Narcissus ».

  9. Martin dit :

    Je viens de découvrir ce merveilleux film grâce à cet article.
    Film tellement réussi, que je m’étonne d’être passé aussi longtemps à côté (je pratique la « cinéphilie » depuis environ 10 ans).
    Dans le dictionnaire des films Larousse (édition 1999), 3 lignes sur ce film:
     » A Milan, un gangster français, avec l’aide d’un seul ami, parvient à mettre ses enfants en sûreté, mais se rend lorsque sa femme est abattue par la police. »
    Commentaire éloquent… , pourtant l’ouvrage ne sous-estime pas Claude Sautet, il y a 20 lignes sur « César et Rosalie » et « Max et les ferrailleurs », 30 sur « Les choses de la vie », autant de films considérés comme des « classiques » du cinéma français.
    Je partage votre avis, et celui de Gilles Jacob, ce film est l’un des meilleurs policiers français, et devrait être cité comme une référence du genre.
    Merci Monsieur Tavernier, merci pour votre sens de la transmission (comme le souligne Jean-Dominique Nuttens dans le très beau livre qui vous est consacré).

  10. Luc Aubry dit :

    Mais vous l’avez fait, Monsieur Tavernier, ce film sur le cinéma français. Du moins sur une époque : « Laissez-Passer ». Un film bien émouvant et instructif, qui m’a fait…. beaucoup lire ! En vous remerciant de tout ce que vous nous apportez, et pas seulement en étant cinéaste.

  11. en réponse à Natglick :

    Excusez moi, cher Natglick, mais je suis d’abord cinéaste. Peut être un jour ferai-je un film sur le cinéma français

  12. Jean-Claude dit :

    Quel plaisir de lire ce Blog. Merci Monsieur Tavernier.

  13. natglick dit :

    admirable critique, qui situe bien l’impirtance de ce chef d’oeuvre absolu qu’est Classe tous risques. Le fait d’être devenu cinéaste empêche probablement tavernier de pondre le livre sur le cinéma français qu’il serait pourtant le seul à pouvoir écrire. Gloire à Sautet, l’un des metteurs en scènes les plus connus, mais aussi les plus secrets et sous estimés du cinéma français.

  14. michel dit :

    J’admire 7 from Now ,et les fims de Boetticher,même si je n’ai jamais bien su prononcer son nom à l’américaine (qqch.comme Bètiker)et si je continue à dire malgré moi Beau titcher,teacher malgré lui. Pour Randolph Scott ,ça va,son nom claque impeccablement.

  15. Olivier dit :

    Je comprends maintenant le pourquoi de ce différé pour la sortie de « In The Electric Mist ». Il y a un an, alors qu’il semblait y avoir une possibilité pour le film d’être présenté sur la croisette, je m’étais empressé de lire le roman de James Lee Burke dont le film est une adaptation. Et depuis cette lecture, je nourris une véritable attente. Ce qui m’a le plus frappé en lisant ce livre, ce sont les détails…, une mine de détails : le bayou, les personnages, leur vie… Je me suis dit que c’était un trésor pour un cinéaste, et j’ai une telle confiance dans votre capacité à décrire – il suffit de repenser ému à « Un dimanche à la campagne »… – que l’attente fait déjà partie du film, un peu comme les silences dans une oeuvre de Mozart, sont aussi du Mozart.

  16. Pierre dit :

    Ca m’a plu de lire que Sautet avait été impressionné par « Rio Bravo » car ces deux réalisateurs ont en commun d’avoir fait des films d’hommes où les femmes, loin d’avoir des rôles décoratifs étaient même souvent plus fortes que leurs partenaires.
    Bertrand, quelle chance d’avoir eu pour parrains cinématographiques Sautet et Melville ! Quand je pense que de jeunes cinéastes d’aujourd’hui se vantent peut-être d’être adoubés par Luc Besson, Pitof ou Jan Kounen…
    A propos de la mauvaise côte des polars pour une grande partie de la critique, est-ce que ce n’est pas à partir des films de Melville que ce point de vue a changé ? C’est exact que le genre a souvent pâti de personnages-clichés et de films bâclés (tous ces nanards avec Robert Hossein par exemple). Quant à l’importance de José Giovanni, elle est majeure. En voilà un qui aurait pu écrire des scénarios fabuleux pour Howard Hawks ! De toute façon, parmi les films que je peux voir et revoir avec le même émerveillement, « Rio Bravo » et « Les Aventuriers » figurent en tête de liste.

  17. Vous la verrez en salle à partir du 15 avril.

  18. Olivier dit :

    J’ai été très touché en lisant cette chronique consacrée à « Classe tous risques ». Seriez-vous entrain d’écrire un volume consacré cette fois-ci au cinéma français ? Ce serait formidable, après l’irremplaçable legs que constitue « Amis américains ». Merci tout simplement, et dans l’espoir de pouvoir voir cette année en salles votre adaptation de James Lee Burke. Cordialement.

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